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samedi 27 octobre 2018

Ranthambore Diaries 2018 - Episode II

  FILS UNIQUE  

RTR - Blue Eye - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron

Le sujet de ce nouvel épisode est un peu étonnant, mais il vient à la suite d'une constatation que j'effectue sur le terrain. Est-ce dû au fait que nous observons les tigres dans des espaces protégés ? Que cette protection permet aux femelles d'avoir un meilleur taux de réussite pour élever leurs petits, et donc de diminuer incidemment le niveau de mortalité chez les jeunes ? 

RTR - Laila T41 - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron
Il n'est finalement pas très fréquent d'observer une femelle tigre avec seulement un petit. Il est donc intéressant de se poser la question de l'enfant unique dans le monde des tigres afin d'en tirer quelques enseignements.

Par le passé, j'avais pu "suivre" Sultan, le fils unique de Noor T39. Bénéficiant de l'entièreté des soins de sa mère, ce tigre avait pu se développer parfaitement. A l'âge de deux ans, c'était un fier tigre, un futur dominant. Il chargeait parfois les jeeps. Etait-ce "l'exclusivité" de la mère qui avait développé ce besoin de possession ? 
Je ne suis pas psychologue, je ne ferais donc pas de rapprochement avec les caractéristiques développés par l'enfant unique humain. Quoique...
Mais, pour les tigres, je remarque seulement que "Blue eye" le fils de Laila T41, se présente avec des caractéristiques similaires à Sultan, fils de Noor T39.

Revenons à notre carnet de voyages...

Ce 10 avril nous cherchions en zone 5. Cette zone est très belle avec ses petites oasis de fraîcheur, mais elle est un peu longue à atteindre. En chemin nous avions trouvé quantité d'empreintes, beaucoup d'espoir avec les indications données par un garde qui patrouillait dans le secteur. Les quelques jeeps présentes sur zone finirent par abandonner et elles repartirent en arrière. 

La persévérance paie souvent en animalier. 

Nous étions à Bakola près de la rivière qui serpente au pied du plateau. Tout d'un coup, un cri d'alarme d'un sambar venant des hauteurs. Nous partons à fond car l'itinéraire est un peu long, en tout cas suffisamment pour que nous manquions notre tigre. Après une course échevelée (sauf pour moi vu ma capillarité) nous arrivons en hauteur. Là rien ! Silence. On attend. 

Et puis soudain, Laila (T41) apparaît. Prudente elle s'assoit à notre droite dans les broussailles. 

RTR - Laila T41 - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron

















Comme il n'y a que notre jeep, elle n'est pas du tout stressée. Nous avons le temps et nous essayons difficilement de photographier Laila à travers les broussailles. 

Tout à coup une belle apparition inattendue au détour de la piste. "Blue Eye", le fils de Laila montre ses moustaches à 200 mètres de nous. 


L'ascendance de ce tigre demeurait incertaine jusqu'à très récemment dans la mesure où deux mâles adultes, à savoir Akash (T65) et Teddy Bear (T64) se disputaient la zone d'établissement de sa mère Laila. Or, il est depuis l'été dernier toléré avec sa mère sur le territoire de Bakola placé sous le contrôle de T74, ce qui porte à croire que Teddy Beau est bien le géniteur. Père et fils ont été aperçus se rafraichissant à quelques mètres l'un de l'autre dans les somptueuses oasis de la zone 5.

RTR - Blue Eye - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron















Prudemment il avance sur le chemin et s'assoit. Quand l'on est seul sur une observation c'est à coup sûr un régal. L'occasion nous est donnée d'admirer pendant un bon moment la belle corpulence de ce tigre. De la graine de dominant ! Et l'occasion de magnifiques photos. 
Nous savons qu'il est timide, nous décidons de reculer pour lui laisser du champ.

RTR - Blue Eye - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron

Bien s'en faut, il se lève et avance à nouveau. Visiblement, il veut rejoindre sa mère. Pourtant il s'arrête au milieu du chemin. 

Puis Blue Eye rejoint sa mère. Quelques câlins et soudain le "timide" nous charge !!! Nous fuyons en trombe. Mais même si la charge d'un tigre est impressionnante, celle-ci n'est pas vraiment sérieuse. Juste une saute d'humeur !

RTR - Blue Eye - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron
Puis Laila se met à bouger  et Blue Eye lui emboite le pas. 
Ils se dirigent vers Bakola en empruntant un passage dont ils ont seuls connaissance, parmi les cactus et la rocaille. Chemin inexploitable pour nous évidemment. Ils nous faut démarrer en trombe pour redescendre et espérer  les retrouver en bas.


RTR - Laila suivie par Blue Eye - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron

Yes ! Le pari est gagnant. Les deux tigres redescendent et Blue Eye vient inspecter la rivière qui nous fait face.


Il a repéré quelque chose dans l'eau et essaye de l'attraper. 

Je suis toujours étonné du rapport du tigre avec l'eau. Il agit toujours avec délicatesse comme le ferait un chat (qui n'aime pas se mouiller).

RTR - Blue Eye - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron
















Dans son bain, il a apparemment repéré un petit poisson et il essaye à plusieurs reprises de l'attraper. A l'observer nous voyons bien que ce petit animal qui lui échappe a le don de l'agacer. Un si petit poisson qui tient tête à un tigre ! La hiérarchie ainsi établit déplaît fortement à sa majesté ! 

RTR - Blue Eye - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron

Alors... soudain, nous le gênons et il nous charge dans un déluge d'eau. Histoire de s'en prendre à quelqu'un !

Les photos ci-dessous sont extraites de ma vidéo car je filmais. Malheureusement surpris par l'action les occupants ont bougé. Ce qui peut pardonner en photo, ne passe pas en vidéo !😥 Et je n'ai donc pas la phase finale (et superbe) de la charge. En gros, j'ai filmé le ciel ! Merci les copains !

RTR - Blue Eye - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron (extrait de vidéo)
RTR - Blue Eye - 10/04/2018 - ©Pierre Chéron (extrait de vidéo)
Enfin Blue Eye se met à partir en courant et sautant dans les herbes à la poursuite d'une proie fantôme.

Je vous le disait bien, enfant unique comme Sultan, Blue Eye est très possessif et parfois irascible.  


Quelle merveilleuse matinée. Merci les tigres !!

* une vidéo de cette scène mouvementée sera postée dans la semaine.



Textes et photos Pierre Chéron
© Blog Pierre Chéron - L335-3 du Code de la propriété intellectuelle

samedi 20 octobre 2018

Ranthambore Diaries 2018 - Episode I


 Des repas sous haute tension 



RTR - T19 Krishna - avril 2018 © VD 
Un peu d'histoire:

Krishna (T19), autrefois reine des lacs, a abandonné la zone 3 a sa fille Arrow Head en 2016. Après avoir élevé avec succès deux portées de trois tigres (T63-T64-T65 deux mâles et une femelle puis T83-T84-T85 deux femelles et un mâle) avec son compagnon Star Male (T28), elle a préféré se retirer en zone 4 avant de devoir subir l'humiliation d'une défaite, fidèle à son caractère doux et dévoué. Déjà lorsque s'était présenté le temps des confrontations avec sa sœur Sundari (T17), toutes deux filles de la célébrissime Maachli, elle lui avait laissé le territoire des lacs pour s'exiler dans des contrées moins favorables.

Attendant patiemment son heure, elle avait ensuite bénéficié du départ de Sundari pour s'emparer du secteur et ne plus le lâcher, s'étant assuré les faveurs du mâle dominant T28.

Krishna, se dirigeant vers le point d'eau après son repas- avril 2018 © VD
Loin de se laisser déstabiliser par cette mise à l'écart et en mère clairvoyante, Krishna décida en 2016 de renouer avec les territoires d'où sa sœur l'avait repoussé. Une fois établi sur des aires de chasse connues bénéficiant de points d'eau en nombre, elle pouvait se mettre en quête d'un protecteur. Son fils Akash (T64) était alors aux prises avec un mâle plus jeune mais aussi plus puissant, Teddy Bear (T74), pour le contrôle des confins de la zone 5 et des oasis de Bakhola.


RTR mars 2017 – T74 Teddy Bear © VD
En 2017, à la surprise de beaucoup d'observateurs, T74 pris le dessus et finit par repousser les assauts de Akash, bien aidé au début par son frère "W male" (T75). Fin 2017, la cause était entendu et T74 assurait sa suprématie sur les oasis de la zone 5 et une grande partie de la zone 4.

Issu d'une lignée remarquable, fils du grand Zaalim (T25) et de l'indomptable Sundari (T17), Teddy Bear scella dès lors son union avec Krishna et une portée de trois jeunes tigres vit le jo
ur peu de temps après à la mi 2017. Pour les portées précédentes auxquelles elle donna naissance, Krishna réussit l'exploit de mener à trois tigres à l'âge adulte mais elle perdit à chaque fois très tôt le quatrième de la portée. Ranthambhore constitue un biotope relativement hostile et il semble qu'il soit quasiment impossible de parvenir à répondre aux besoins de 4 petits tout en assurant leur sécurité. Mais en mère experte, Krishna sait désormais parfaitement tirer partie des moindres avantages du terrain et des 

ressources de son territoire.

C'est sur la base de ces informations que nous avions planifié des sorties en zone 4 pour tenter de débusquer la petite famille. Pourtant ce matin là, nous n'étions pas destinés à assister au repas des fauves puisqu'une autre zone nous avait été dévolue.

Finalement après d'âpres tractations et un changement de zone opportun, nous partons pour la zone 4 et filons directement sur le lieu du "kill" de sambar. Oublié les ambiances intimistes de la rencontre fortuite de Noor et de ses filles la veille en zone 2, des dizaines de véhicules sont déjà positionnés en contrebas de la scène mais les canters ne sont pas encore de la partie ...heureusement !

Krishna attaque le sambar par la croupe après avoir traîné la carcasse en lieu sûr © VD
Le cadre est vraiment fantastique puisqu'il s'agit d'une oasis tapis au pied d'un escarpement rocheux typique des formations géologiques des chaînes des monts Aravalli et Vindhya...des piscines naturelles sont encore en eau en dépit de l'intense chaleur et la carcasse du sambar fraîchement tué la veille a été tractée par Krishna quelques dizaines de mètres plus haut de manière à pouvoir manger tout en conservant un œil sur l'arrivée d'éventuels intrus.

Après quelques manœuvres délicates, nous finissons par nous positionner idéalement et une trouée dans la végétation nous offre une vue imprenable sur le festin de la famille. Les tigres vont se relayer sur la carcasse et nous trouvons tout naturellement Krishna se taillant la part du "lion".

Cohabitation trompeuse entre Krishna et sa fille sur la carcasse du sambar © VD
A la différence des lions qui ont une organisation sociale très hiérarchisée au sein du clan, il n'y a pas d'ordre de passage établi pour les repas des tigres. Dans la mesure où les tigresses se retrouvent le plus souvent seules pour élever les petits, elles sont supposées être prioritaires sur leur progéniture.

Mais les caractères s'affirment rapidement chez les jeunes et l'autorité de la mère peut être contestée à l'occasion de ces moments sous haute tension !

 
 
  Séquence de l'opposition entre Krishna et sa fille pour la carcasse du sambar © VD 

En l'occurrence, c'est la femelle de la portée, relativement petite mais très agressive qui va se montrer véhémente pour réclamer sa part sans attendre que Krishna ne finisse...cette dernière après avoir fait mine de s'y opposer, se ravise très rapidement et se résigne à laisser sa place à sa fille confirmant ainsi un trait de caractère déjà observé par le passé chez cette fabuleuse tigresse lors de confrontations précédentes.

Souvenez-vous son exil après sa soumission à sa sœur Sundari en 2011-2012, puis son abdication du royaume des lacs face à sa fille quelques années plus tard en 2016...Krishna n'aime décidemment pas les disputes familiales !

La fille de Krishna est encore très jeune (un an à peine) et il n'est pas temps pour elle de préparer un "push" même après sa démonstration de force mais elle envoie des signaux déjà forts à sa mère.  

De retour sur les lieux de la discorde pour le safari de l'après-midi,nous retrouvons la famille dans une cohabitation désormais pacifiée...tout le monde a mangé à sa faim et les querelles du matin ont été mises de côté au profit des jeux et de la sieste...

RTR - Krishna et un de ses jeunes - avril 2018 © VD
Ci-dessus, Krishna qui se lèche au second plan tandis que sa fille au premier plan grimpe sur les racines déployées d'un arbre splendide...tout invite à la photographie et il est alors aisé de faire abstraction des jeeps et des canters nous entourant. Les félins ignorent les bruits des visiteurs excités et leur accoutumance aux touristes marquent leur entrée dans l'adolescence où l'insouciance de l'apprentissage par le jeu et le besoin de découvrir et de se défier prennent le pas sur la crainte de l'inconnue et le mimétisme avec la mère.


Ci-dessous, une des deux jeunes mâles prend la pose au milieu des rochers et des feuilles mortes. Il arbore déjà fièrement sa "tigritude" de maître de la jungle conscient de l'héritage qui sera prochainement le sien et qu'il devra s'employer à conquérir avant de pouvoir, à son tour, espérer le léguer à sa descendance.

RTR - jeune de Krishna - avril 2018 © VD
Après avoir engloutis des dizaines de kilos de viande, les tigres profitent de longues séances de digestion indispensables...ils récupèrent des efforts et aiment à intégrer à leurs cycles "repas/sieste/repas/sieste" des baignades pour se désaltérer et réguler la température de leurs corps soumis aux fortes chaleurs de pré-mousson.

Krishna se met ainsi à l'eau en fin d'après-midi lorsque le soleil décline et que ses rayons se décident à prodiguer caresses réconfortantes au lieu des pénibles brûlures du milieu de journée.

Nous espérons que ses petits vont la rejoindre pour des joutes aquatiques toujours spectaculaires et émouvantes...mais elle profite seule de ces piscines privatives et d'un peu de tranquillité avant de devoir reprendre la fastidieuse éducation de sa petite troupe. Krishna est décidément la vraie reine de Ranthambhore et la digne successeur de Maachli. 

 

RTR - Jeune de Krishna - avril 2018 © VD

 Textes et photos Vincent Dabadie
© Blog Pierre Chéron - L335-3 du Code de la propriété intellectuelle

samedi 13 octobre 2018

Vie sauvage et développement

 Inde sauvage et développement : comment éviter l'impasse des constructions humaines "irraisonnées" ?

Les animaux tués sur les routes de l'Inde suivent la courbe ascendante de la construction du réseau autoroutier et de l'urbanisation du pays. C'est la rançon payée par la nature à l'inévitable modernisation.des infrastructures Blog Pierre Chéron Parmi tous ces animaux, les léopards ont acquitté le plus lourd tribut car c'est un animal adaptable qui ne craint pas la proximité de l'homme. Celle-ci lui est souvent fatale.

© Wildlife Institute of India
Famille de léopards écrasés gisant au bord d'une route
La fin de l'année 2017 et le début de l'année 2018 ont vu également un nombre important de tigres morts sur les routes indiennes. Les rares forêts préservées sont bien souvent éventrées pour construire des autoroutes. Blog Pierre Chéron Le mois de décembre a été terrible avec toutes ces photos de cadavres de tigres au bord des routes. Mais ce type de mort n'est pas la cause de mortalité "accidentelle".

Les clôtures électrifiées font également des ravages parmi la faune sauvage. Au mois de juillet 2018, un tigre et un léopard ont été retrouvés morts suite à électrocution dans les "backwaters" de la réserve de Nagarhole (Kabini réservoir) située dans l'état du Karnataka. 

Les éléphants sont fréquemment victimes de ces dangers car ils sont plus exposés. En effet, certaines lignes haute tension ou postes de transformation se situent dans des zones de transit des éléphants, ce qui implique la conception d'installations adaptées pour prévenir les risques d'électrocution des pachydermes (gabarits spécifiques des lignes pour les rendre inaccessibles aux éléphants, protection des installations électriques des postes....). Selon les chiffres communiqués par la "Wildlife Protection Society of India", ce sont pas moins de 350 éléphants qui sont morts électrocutés entre 2010 et 2016.

Ainsi, peut-on citer le cas d'une mère et de  son éléphanteau, morts  en septembre 2016 pour s'être trop approchés d'un poteau électrique alors qu'ils empruntaient avec le reste du troupeau d'une quarantaine d'individus, un couloir migratoire dans une plantation de thé proche de Darjeeling (état du "West Bengal")

Villageois honorant avec des fleurs les éléphants morts électrocutés 

Le volume 1 du rapport "A Policy Framework Connectivity Conservation and Smart Green Linear Infrastructure Development in the central India and Eastern Ghats Tiger Landscape" publié début 2018 sous l'égide du Wildlife Conservation Trust (WCT) dresse un état des lieux sans concessions des projets d'infrastructures linéaires lourds qui menacent les corridors de connexion des sanctuaires de vie sauvage. Mais les conclusions se veulent volontaristes et non fatalistes et en appellent aux pouvoir publics afin d'intégrer à l'avenir les éléments de nature à concilier les intérêts des projets reconnus d'utilité public et nécessaires au développement du pays avec ceux de la préservation du patrimoine naturel indien.

Afin d'éviter toute approche dogmatique et pour ne pas provoquer les réactions inverses à celles escomptées par les tenants d'un développement économique effréné, le rapport cible les corridors stratégiques sur lesquels concentrer les réflexions en vue de définir prioritairement des tracés alternatifs ou bien les mesures de mitigation adaptées. Rappelons que la définition d'objectifs de conservation découle directement du "Wildlife (Protection) Act" de 1972, du "Forest (Conservation) Act" de 1980 et de l'"Environment (Protection) Act" de 1995  qui constituent en Inde le socle législatif pour la création d'aires protégées, notamment pour les tigres,  reliées entre elles par des corridors de migration de la faune sauvage, eux aussi visés par ces textes. 

Sur les quelques 1697 projets d'infrastructures linéaires (routes, chemins de fer, canaux) relatifs à l'inde Centrale et aux Eastern Ghats, 399 environ interfèrent avec le réseau de corridors utilisé par la faune sauvage. Actuellement, seuls 26 corridors sont officiellement identifiés par le WII dans les 8 états (Andhra Pradesh, Chhattisgarh, Jharkhand, Maharashtra, Madhya Pradesh, Odisha, Rajasthan, Telangana) que compte l'habitat des tigres alors qu'il y en a en réalité bien plus empruntés par les tigres et la faune sauvage.

Il est important dans ces conditions d'identifier ceux présentant un intérêt majeur pour la dispersion des tigres en vue de garantir l'existence d'une métapopulation ou bien pour assurer le déplacement en sécurité des éléphants par exemple. Il en va de l'avenir de ces espèces emblématiques du sous-continent indien sur le long terme. Fin juillet 2018, le NTCA (National Tiger Conservation Authority) donnait le top départ d'un plan relatif à la protection de 32 corridors.

Sur les 399 projets en potentiel conflit avec des corridors, 86% (soit 346 sur 399) ont été considérés dans une première approche par les organismes utilisateurs des infrastructures projetés comme ne nécessitant pas de mesures spécifiques pour la protection de la vie sauvage d'où l'importance comme le souligne et le démontre le rapport du WCT, de déterminer de manière pragmatique lesquels de ces projets sont de nature à impacter la connectivité des espaces protégés (voir carte ci-dessous graduant l'importance des corridors dans la connectivité des habitats protégés du tigre). 
Carte représentant les aires protégées et en rouge les corridors prioritaires
pour assurer une connectivité © Wildlife Conservation Trust
Les recherches récentes ont permis de mieux appréhender la dynamique de migration des animaux et d'orienter ainsi les mesures à prioriser. Ainsi, les scientifiques et naturalistes se sont rendus compte, notamment par l'étude des déplacements des individus "monitorés", que deux aires protégées pouvaient être connectées par plusieurs corridors à  la fois. En outre, les aires protégées de taille réduite occupent une place stratégique dans la création d'un réseau d'ensemble interconnecté puisqu'elles offrent des étapes aux animaux reliant deux aires protégées importantes (ex : deux Tiger Reserve) séparées par une longue distance. 
Les deux cartes ci-contre et ci-dessous  représentent respectivement les aires protégées (PAs) d'Inde Centrale d'un côté et la densité des infrastructures et constructions humaines représentant des barrières pour la migration des animaux de l'autre.

En Inde Centrale et dans le cadre des corridors pouvant potentiellement relier les "pools génétiques" des tigres d'Inde de l'Ouest et d'Inde Centrale, les deux principaux états concernés du Rajasthan et  du Madhya Pradesh présentent un nombre très important de projets routiers menaçant la continuité des patchs de forêts reliant les parcs et sanctuaires protégés.
Les projets routiers sont figurés dans les deux cartes ci-dessous par des bandes noires et rouges représentant les tracés projetés. En Inde Centrale, l'Etat du Madhya Pradesh qui compte le plus d'aires protégées occupe la première place dans le programme de développement des infrastructures routières.
Carte représentant les réserves, sanctuaires et parcs du MP ainsi que les forêts les reliant et les projets d'infrastructures projetés © Wildlife Conservation Trust
Certains parcs risquent de se retrouver totalement "ceinturés" par des barrières infranchissables pour les animaux comme il est possible de l'observer au niveau des sanctuaires de Ramgarh situé aux alentours de Bundi dans le Rajasthan. 


Carte représentant les réserves, sanctuaires et parcs du Rajasthan ainsi que les forêts les reliant et les projets d'infrastructures projetés © Wildlife Conservation Trust










De nombreux exemples passés montrent que certaines infrastructures ont été réalisées sans mettre en œuvre les dispositifs de nature à faire coexister routes principales et déplacements en sécurité de la faune sauvage. Pour ne citer que quelques exemples routiers et ferroviaires : en 2015, l'extension de la "National Highway" 7 appelée désormais NH-44 intercepte le corridor Kanha-Satpura TR, l'élargissement de la NH-6 pour un passage à 4 voies en 2009-2010 a fragilisé les corridors Kanha-Nawegaon-Tadoba-Indravati et Nagzira-Nawageon, idem en 2012 pour le passage à 4 voies de l'autoroute Nagpur-Betul à travers le corridor Pench-Melghat TR et celui de la double voie de la route Nagpur-Chhindwara à travers le corridor Pench-Satpura TR, la liaison ferroviaire principale reliant Delhi à Chennai traverse pas moins de 7 corridors dont le Ratapani WLS, l'extension de la ligne Nagpur-Chhindwara menace le corridor Pench-Satpura...

En examinant les chiffres des emprises nécessaires à la réalisation de ces projets d'infrastructures linéaires, on s'aperçoit qu'ils ne représentent que 72 hectares de forêts. Les dommages causés ne concernent donc pas la problématique de déforestation (consécutive au développement des projets miniers ou à d'autres projets)  mais bien l'absence de mesures efficaces de mitigation permettant aux animaux de ne pas être exposés aux dangers inhérents à la circulation des véhicules.  Après d'intenses débats, l'Etat du Karnataka vient de reconduire l'interdiction des traversées nocturne du parc de Bandipur à la satisfaction des activistes et naturalistes qui s'étaient fortement mobilisés. Les chiffres étaient éloquents puisque cette interdiction a permis en quelques années de diviser par plus de deux le nombre d'animaux morts suite à des collisions.

La "National Highways Authority of India" (NHAI) s'avère parfois peu encline à intégrer les mesures coûteuses de mitigation de type passage inférieur ou supérieur "grande faune" avant que la Cour Suprême indienne ne se soit prononcée pour définir des interdictions ou obligations. C'est le cas pour la projet d'extension de la NH-44 menaçant plusieurs corridors des réserves de tigres de Kanha et Pench.


Fragmentation et isolement des habitats favorables peuvent avoir des conséquences dramatiques sur les espèces résidentes et voir leurs effectifs s'effondrer drastiquement, engendrant des effets bien plus néfastes et coûteux en définitif que les surcoûts aux projets qu'impliquerait la mise en œuvre de mesure de mitigation efficaces. 
Toutefois, la mobilisation en Inde pour protéger le patrimoine naturel est une tradition et beaucoup d'indiens en appelle autorités, naturalistes, écologistes et ingénieurs pour imaginer des solutions "win/win" en multipliant échanges et concertations sur les projets. L'Inde a sans conteste les moyens de prendre le "leadership" mondial sur ces questions et d'inventer de nouveaux modèles de développement respectueux de l'environnement pour une maîtrise des ressources naturelles et une préservation des espaces de biodiversité.

La Cour Suprême qui constitue encore l'ultime recours pour faire appliquer la législation vient d'ordonner la fermeture ou le déplacement de 27 "Resorts" dans les Nilgiris, faisant partie des quelques 821 constructions implantées illégalement dans le couloir de migration emprunté par 900 éléphants pour relier Western Chats et Eastern Ghats et identifiées dans le rapport "Gajah" de l'"Elephant Task Force". 



Troupeau d'éléphants conduit au point d'eau par une matriarche
dans le parc national de Kaziranga dans l'état de l'Assam
Impressionnant Tusker - Kabini
  

Autour de MM Hills Wildlife Sanctuary et de Biligiriranga TR, des initiatives privées ont permis de racheter des terres menaçant le corridor de Edayarahalli-Doddasampige afin de transférer les terrains en gestion au "Forest Departement". Des dizaines d'hectares de forêt dans le district de Chamarajanagar ont ainsi été soustraits à l'appétit des hommes afin de garantir migration et déplacements plus faciles aux quelques 3000 éléphants qu'abritent la réserve de tigres de Bandipur, le MM Hills Wildlife Sanctuary et le Cauvery Wildlife Sanctuary.

Textes et photos Vincent Dabadie
© Blog Pierre Chéron - L335-3 du Code de la propriété intellectuelle

mercredi 10 octobre 2018

Ranthambore Diaries 2018 - Préambule

  AU ROYAUME DES TIGRES  


Ranthambore, ... j'adore ce parc. 
Bien sûr tout n'y est pas parfait. Mais quel bonheur de pouvoir admirer nos tigres d'aussi près, presque à les toucher, et dans un si bel écrin !

Sur le début de cette année, j'y ai effectué 48 safaris. Il ne m'est pas possible  de raconter toutes les observations que j'y ai faites, sinon à mobiliser en permanence le réseau.
J'y ai  observé 108 tigres et 6 léopards en 79 scènes. Je sais que c'est un ratio extraordinaire. Pour tout dire, l'année 2018 est pour moi fantastique, tous parcs confondus. La meilleure sur mes 15 années consacrées au tigre, meilleure en quantité mais surtout pour la rareté des scènes observées. Et je n'en ai pas terminé car je reviens à Ranthambore le 4 décembre pour mes 8 derniers safaris de l'année (finissant un circuit à Nagarhole et Kanha).


Je vous recommande mon dernier livre AU ROYAUME DES TIGRES qui vous raconte en détail l'histoire de ce parc magique, au fil des 176 pages composées avec soin durant 5 années. (Un arbre généalogique et des cartes vous permettront de comprendre les filiations et les luttes de clans). 


La semaine prochaine Vincent et moi-même vous proposeront 5 épisodes "Ranthambore Diaries 2018". 

A bientôt. Pierre




Textes et photos Pierre Chéron
© Blog Pierre Chéron - L335-3 du Code de la propriété intellectuelle

samedi 6 octobre 2018

Mortalité des grands fauves (suite)

 Mortalité des grands fauves (suite) : 
Une pandémie menace-t-elle les derniers lions d'Asie ?


Les médias indiens ont largement relayé ces dernières semaines l'hécatombe qui frappe actuellement les lions du Gir. En une vingtaine de jours, pas moins de 23 lions sont morts dont 21 semble-t-il des suites de maladies ("babésiose") liées à des bactéries infectant leur système digestif et transmises par des tiques. appelées "Babesiosis".


Source Time of India


Cette mauvaise nouvelle relance le débat d'une deuxième aire d'accueil des lions d'Asie, projet enlisé depuis des décennies en dépit des injonctions de la Cour suprême indienne qui avait ordonné le transfert de lions du Gujarat vers le Wildlife Sanctuary de Kuno Palpur situé dans le Madhya Pradesh.

Problème : depuis cette décision, de nombreuses études sont venues montrer que Kuno Palpur constitue un habitat stratégique du "Western India Tiger Landscape" pour la migration des tigres, notamment depuis la population source de Ranthambore, et pour la création à terme de connexions entre les populations des tigres d'Inde de l'ouest et celles d'Inde centrale. Aucun autre site d'accueil n'a pour le moment été identifié bien que d'autres options existent.

Pour parer au plus pressé et tenter d'enrayer les effets dévastateurs de ces infections, un plan d'action est en train d'être étudié notamment pour mener une campagne de vaccination des chiens porteurs des tiques comme cela fut réalisé dans le parc africain du Serengeti. Le contrôle sanitaire du bétail susceptible de se trouver en contact avec les félins est également envisagé. 

Source Time of India


Gageons que les autorités indiennes, aussi bien locales que nationales, sauront se mobiliser pour éviter une perte inestimable. En effet, après avoir sauvé l'espèce et l'avoir amené à une population viable dans l'Etat du Gujarat (environ 600 lions en 2018), fief de l'actuel premier ministre Narandra Modi, l'Inde se trouve face au défi non moins difficile à relever de donner un avenir sur le long terme à cette population en diversifiant son aire de répartition. 


Source Time of India