Bienvenue


Bienvenue sur ce blog,
pour rester en contact lors de mes voyages.
A bientôt avec nos chers animaux.

vendredi 23 novembre 2018

Inde sauvage et développement

 L'Etat du Maharashtra, un exemple à ne pas suivre !?




Sur les 576 km de travaux routiers programmées par l'état du Maharastra, plus de 100 km de routes nouvelles seront implantées à l'intérieur de corridors définis par le rapport de 2014 du WII "Connecting tiger populations for a long-term conservation" comme constitutifs de l'habitat critique des tigres et indispensables pour assurer une bonne connectivité des aires protégées permettant ainsi dispersion et échanges entre populations.
 
Parallèlement à ces projets routiers, plusieurs lignes ferroviaires lourdes de fret et de voyageurs traversant Nagpur  (Delhi-Chennai et Mumbai-Howrah route notamment) vont couper les corridors stratégiques situés aux alentours et venir ceinturer la réserve de Tadoba Andhari qui constitue la principale population source des tigres du Maharashtra avec plus de 200 tigres présents à l'intérieur de la réserve ou bien dans les forêts adjacentes des districts de Chandrapur, Gondia, Bandhara, Gadchiroli, Nagpur et Yavatmal.

Selon les experts du "National Center for Biological Sciences" (NCBS), "Wildlife Conservation Trust" (WCT) et "Foundation for Ecological Research, Advocacy  & Learning"  (FERAL), les conséquences d'une mise en œuvre de ces chantiers (NH6 et NH7 + liaisons ferroviaires) sans prise en compte des enjeux de préservation des conditions de migration de la faune sauvage en sécurité seraient à terme désastreuses sur les effectifs qui déclineraient alors rapidement, victimes des perturbations directes (collisions) et indirectes (diminution des échanges entre populations et déséquilibre de l'occupation des habitats favorables) ainsi que des conflits croissants homme / animal. 

L'Etat du Maharashtra a, il est vrai, été dépassé par le succès des actions de protection des tigres menées ces dernières années à l'intérieur des aires protégées, sans anticiper les conséquences d'une réduction drastique des habitats favorables à l'extérieur des réserves et sanctuaires, notamment au niveau des corridors de dispersion.
Source rapport du WCT de février 2018 sur le développement d'infrastructures linéaires "vertes"

 
La carte ci-dessus extraite du rapport du WCT de février 2018 "A Policy Framework for Connectivity Conservation and Smart Green Linear Infrastructure Development in the Central Indian and Easter Ghats" présente les projets programmés et impactant directement les corridors de liaison des aires protégées.

La carte ci-dessous se focalise sur la région de Tadoba Andhari et représente les différentes infrastructures linéaires projetées, notamment routières, tout autour de la Tiger Reserve.

Dans les forêts entourant Bramhapuri, accolées au Wildlife Sanctuary de Ghodazari, 11 tigresses ayant chacune trois petits ont été dénombrées à l'aide des pièges caméras positionnées dans cette zone ! 44 tigres sur une superficie de 1200 km² comprenant 605 villages, c'est plus que dans la majorité des TR et cela témoigne s'il en était besoin de l'énorme pression exercée sur les territoires que les hommes et les animaux sont supposés se partager !! 

Source Time of India du 22/11/2018
Créer des barrières infranchissables pour les tigres conduira inexorablement à multiplier le cas de tigresses comme Avni, installée dans les forêts clairsemées de Yavatmal à une cinquantaine de kilomètres au nord du Tipeshwar WLS, coupée des habitats favorables et n'ayant d'autre choix que de se rabattre sur des proies faciles occupants les très nombreux villages voisins.

 
Dans sa conclusion du documentaire "The Forgotten Tigers" réalisé en 2014, Krishnendu Bose nous livre une vision apocalyptique de tigres errants au beau milieu de villages, sans repères, situation qui pourrait devenir monnaie courante si rien n'est entrepris dans les années qui viennent pour connecter efficacement et de manière concertée avec les populations locales, les habitats dédiés à la faune sauvage et à son "Apex predator".

 S'agissant des infrastructures ferroviaires existantes comme la ligne Chanda- Gondia qui a été réhabilitée en 1999, le South East Central Railway (SECR) concède qu'aucune mesure d'atténuation n'a été programmée et ne sera mise en œuvre. En revanche, pour les lignes nouvelles projetées et notamment celle reliant Wadsa à Gadchiroli, le SECR indique que des mesures d'atténuation seront bien intégrées au programme des travaux comme des passages inférieurs ou supérieurs "vert" (voir exemple ci-dessus d'un "green overpass).
 
                         

Outre ces ouvrages de franchissement, d'autres mesures doivent permettre de limiter les risques d'accidents comme une meilleure signalisation aux abords et à l'intérieur des zones traversant les corridors ainsi qu'une limitation de la vitesse autorisée et un strict contrôle du respect de ces aménagements à la circulation des véhicules. Pour qui a eu l'occasion d'emprunter routes et voies de chemin de fer en Inde, chaos et anarchie règnent le plus souvent  et les dangers sont innombrables. L'évolution des comportements passe donc par des campagnes de sensibilisation volontaristes et soutenues par les autorités.
 
Toujours est-il que les travaux de la 79ème session du congrès pour le développement  du réseau routier  indien envoient des signaux extrêmement négatifs et préoccupants. A l'exception de la NH7, les autres projets routiers ne comportent actuellement aucune amélioration ni aucune  mesure   d'atténuation selon l'Ingénieur en Chef des autoroutes nationales, BD Theng, dans la mesure où ces surcoûts n'ont pas été prévus dans les enveloppes budgétaires allouées.
 
Le Conservateur en Chef des forêts du district de Chandrapur, Bandu Dhotre, alerte sur le fait que ses équipes ne sont pas consultées pour déterminer les zones sensibles dans lesquels prévoir des dispositifs adaptés et  Uday Patel, son homologue du district de Gadchiroli d'ajouter  que la conception de ces projets routiers ne s'appuie sur aucune enquête de trafic estimant les volumes journaliers et la typologie des véhicules.

 
La banque mondiale et le WWF emboîtant le pas des ONG locales estiment que les gains obtenus dans la conservation et la protection des tigres au terme des efforts menés ces dix dernières années risquent d'être totalement annihilés par un développement massif et hazardeux des infrastructures de transport conduisant à une fragmentation irréversible de l'habitat critique des tigres et des autres espèces abritées par ce fragile écosystème.
 
Tout autour de Tadoba, les menaces sont nombreuses comme les deux projets routiers de liaison Chimur-Kanpa et Hinganghat-Khandsangi-Mul  pour un total de 135 km, ce dernier ayant pour effet de couper le corridor nord  stratégique entre Tadoba Andhari TR et les forêts du Ghodazari WLS.
 
 


 Textes Vincent Dabadie
© Blog Pierre Chéron - L335-3 du Code de la propriété intellectuelle

 

samedi 17 novembre 2018

Ranthambore Diaries 2018 - Episode III




"Game of Thrones" au pays des tigres ou le temps des rivalités exacerbées




Sous sa protection, il a permis la cohabitation parfois tendue (en zone 2 essentiellement) de deux femelles qui ont chacune donné naissance à trois petits : T60 "Junior Indu" mère de deux mâles (T97 et T98) et une femelle (T99) nés en février 2016 et T39 "Noor" mère de trois femelles nées en octobre 2016. Mi-2018, les jeunes sont désormais arrivés à l'âge adulte et ce territoire d'une cinquantaine de km² ne dispose en aucune façon des ressources suffisantes pour abriter 9 tigres adultes !

Noor a établi son territoire de chasse en zone 1 et sur une partie de la zone 2. Lors des chaleurs insoutenables de juin 2017, elle a affronté brièvement Junior Indu pour le contrôle d'un des derniers points d'eau alimenté de la zone 2.

Début 2018, elle a abandonné une grande partie de la zone 1 à la première de ses filles qui a pris son indépendance mais en ce mois d'avril 2018, elle est toujours accompagnée par ses deux autres filles (Noori et Afreen) qui ne sont pas décidées à quitter la zone 2 en quête de territoires où s'établir.


En revanche, la fille de Junior Indu a migré vers la zone 10 de RTR dans le Sawai Mansingh Sanctuary contrôlée par un mâle très expérimenté nommé Fateh (T42). C'est une chance pour cette tigresse car même si les ressources y sont moins abondantes, la concurrence y est beaucoup moins rude puisque seule une tigresse âgée (T3 - Old Sultanpur, mère de Noor) y réside accompagnée d'un unique rejeton.

Noori et Afreen quant à elles ont opté pour une tactique de harcèlement ne lâchant pas leur mère et espérant que celle-ci renonce à son royaume pour celle des deux qui se montrera la plus "dominatrice".

Ce matin-là, nous surprenons Singhsth en pleine sieste au cœur de la zone 2 dans un secteur qui marquait en 2017 la frontière virtuelle entre les territoires de ses deux femelles, T39 et T60.
Nous décidons de le laisser à ses rêveries pour rebrousser chemin et nous diriger vers la limite entre les zones 2 et 3...couché contre un arbre, nous distinguons à peine la silhouette d'une tigresse qui nous semble relativement jeune.

Il s'agit de Noori, une des magnifiques filles de Noor, qui monte une embuscade pour tenter d'attraper une proie qui aurait relâché sa vigilance.

Soudainement, après une demi-heure environ, elle se lève, s'étire et part d'un pas décidé en direction de la piste où nous nous situons. Nous ne sommes plus que deux jeeps sur la zone, et après nous avoir gratifié d'un magnifique "show" sous une douce lumière matinale, nous l'entendons lancer des appels répétés vers les collines et un point d'eau naturel qu'elle s'apprête à gagner.
 Nous nous approchons et découvrons tranquillement assises dans l'eau, Noor accompagnée de sa fille Gori. Les tigresses se sont visiblement données rendez-vous dans cet endroit paisible et ombragé pour dresser le bilan de la matinée d'affût...mais la situation devient très vite tendue et Noor semble extrêmement irritée par les comportements de ses filles comme le montre la séquence ci-dessous.
Les tendres signes d'affection maternelle ont bel et bien disparu et Noor doit montrer les crocs à plusieurs reprises pour faire comprendre à Noori qu'elle ne compte pas lui abdiquer sa couronne. Loin de se trouver décontenancer, sa fille s'en prend alors à sa sœur Gori pour affirmer sa dominance. Sa sœur ne lui oppose aucune résistance et se couche devant elle.


Noori peut rependre ses provocations à destination de sa mère. Elle se lève et se livre à une séance de marquage en bonne et due forme sur tous les arbres entourant le petit bassin sous les yeux impassibles de Noor...Noori reste cependant prudente et ne défie à aucun moment directement sa mère, la sachant plus puissante et expérimentée.
Mais le message est clair : "mon heure viendra et ton règne sur ce territoire est désormais compté mère..." Noor semble quelque peu impuissante face à l'escalade des provocations de sa fille. On peut tenter d'expliquer ce comportement par le fait que Noor a eu à élever uniquement des mâles précédemment. C'est la première fois qu'elle se retrouve soumise à la concurrence de sa propre descendance dans une configuration des plus délicates puisqu'elle doit faire face en même temps aux velléités de ses trois filles...cela rappelle l'exil contraint de Maachli (T16) quelques années auparavant lorsqu'elle avait donné naissance puis mené à l'âge adulte Sundari, (T17), Attara (T18) et Krishna (T19).

Singhsth est installé sur le trône de fer depuis 2015 ce qui peut paraître relativement court mais qui représente un sacré challenge sur un territoire aussi recherché. En 2019, il aura déjà égalé le règne d'Ustadt qui fut écourté par les homes.

D'une carrure plus ramassée et compact, T57 est un tigre qui sait se montrer extrêmement agressif pour défendre les limites de son territoire. Il a su repousser jusqu'à présent toutes les tentatives extérieures des prétendants mais saura t-il résister aux menaces internes ? Rien n'est moins sûr...
En effet, ses deux fils, deux splendides tigres arrivés à l'âge adulte (T97 et T98), convoitent désormais le trône. Lors des différentes sorties réalisées en 2018, nous avons pu constater que les deux frères alliaient leurs efforts afin de parvenir à leurs fins.

Occupant le cœur du territoire de leur père, ils prélèvent les proies, profitent allègrement des points d'eau et savent se replier habilement pour échapper aux éventuelles représailles du père.

Ci-contre, l'un d'eux tapis sous un arbuste, à l'endroit où nous les avions vu faire leurs premiers pas en 2016 avec leur mère Junior Indu.
C'est une guerre d'usure qui s'est engagée pour destituer le souverain et le pousser progressivement à l'exil. Sans verser de sang, leur espoir est de faire comprendre à leur père que chaque jour qui passe les renforce tandis qu'il l'affaiblit au contraire.Ils font désormais la même taille que leur père et en dépit de leur relative inexpérience, le temps joue en leur faveur....le royaume de Singhsth vacille et une nouvelle page semble s'écrire !
 
A plusieurs reprises T57 a chassé ses fils de points d'eau, refusant l'humiliation de cette cohabitation qui ne veut dire son nom. Arborant un air pensif sur la photo ci-dessus, il semble ne se faire guère d'illusion sur l'issue de la guerre des nerfs engagée avec ses fils. Après tout, mieux vaut céder son royaume à sa descendance plutôt que de le perdre dans un affrontement sanglant avec un intrus de passage.

Ci-contre les deux frères jouissant de moments de détente dans le même trou d'eau que celui qu'affectionne leur père, fidèles à leur stratégie de harcèlement. Les alliés de circonstances savent néanmoins pertinemment qu'il n'y a qu'une place sur le trône de fer !

 

Noor Subadult Female/Junior Indu Subadult male 
© Shakir Ali Guide

Après notre départ du parc et la raréfaction progressive des ressources en eau à partir du mois de juin, les rivalités s'exacerbent pour atteindre des points de non-retour qui peuvent déboucher sur des confrontations violentes entre individus.
Noor subadults females Noori and Afreen 
© Shakir Ali Guide






Les jeunes s'affirment ainsi et mettent en pratique les leçons des parents, maladroitement au début. Ainsi, l'attitude des jeunes tigres males sexuellement immatures peut s'avérer dangereuse et compromettre gravement l'équilibre d'un territoire.

 T57 Singhsth / T97 subadult male © Shakir Ali Guide


Ils peuvent en effet être tentés d'éliminer sans raison des mâles et femelles ressentis comme de potentiels rivaux sans avertissements préalables. Ce fut le cas dernièrement à Kanha avec l'exemple de MB2 éliminant la portée de Chhoti Mada avant son transfert vers Satkosia dans l'Odisha.


Noor and Singhsth - août 2018 © Saudi Raat
Noor and Singhsth - août 2018 © Saudi Raat
Un peu plus tard au mois d'août, Singhsth et Noor seront observés en zone 6 en train de s'accoupler (voir photos ci-contre), libérant ainsi les zones 1 et 2 à la nouvelle génération. Il sera très intéressant de suivre après la mousson la redistribution des cartes dans ces territoires frontaliers où la densité de félins interpelle.

En effet, bien que les ressources de la zone 6 aient augmenté de façon spectaculaire en peu de temps (plans d'eau creusés et proies nombreuses à Kundal dans le Sawai Mansingh WLS), elle abrite déjà la famille du redoutable Kumbha (T34) et de la matriarche Ladli (T8) qui ont engendré début 2017 leur troisième portée composée de deux fils.


 
Un constat s'impose : il devient urgent de libérer de la place pour tous ces tigres. Si Ranthambhore joue pleinement son rôle de population source, le parc souffre encore des difficultés de dispersion des individus vers des aires protégées au nord (Kaila devi) et à l'ouest (Kuno Palpur WLS et Madavh NP notamment) ainsi qu'au sud (Ramgarh Vishdhari WLS et Mukundara Hills TR) au moyen de corridors restaurés et sécurisés. Le Rajasthan vient de se doter de drones afin de mieux suivre à l'avenir les tigres voués à la dispersion...gageons qu'il ne s'agit que du début des actions pour proposer un avenir à ces magnifiques tigres des contrées d'Inde de l'Ouest qui pourraient dans le futur échanger leur genes avec leurs frères d'Inde Centrale !

Textes Vincent Dabadie et photos Vincent Dabadie, Pierre Chéron, Shakir Ali guide et Saudi Raat

© Blog Pierre Chéron - L335-3 du Code de la propriété intellectuelle


































 







jeudi 8 novembre 2018

Avni, une "icône" sacrifiée sur l'autel du développement !?

Avni, une "icône" sacrifiée sur l'autel du développement !?!


Chronique d'une mort annoncée

Dans la nuit du 2 au 3 novembre 2018 s'est achevée tragiquement l'affaire "AVNI" (T1), cette tigresse mère de deux petits, accusée d'avoir tué 13 personnes et pour laquelle l'Etat du Maharashtra a déployé des moyens sans précédents pour neutraliser celle dont il a consciencieusement et patiemment dresser le portrait d'un "man-eater". Le fils du chasseur professionnel Nawab Shaftah Ali Khan s'est chargé de l'exécution de la sentence, piétinant au passage les injonctions de la Cour Suprême indienne, enjoignant au gouvernement du Maharashtra de tout tenter pour épargner la vie de l'animal en privilégiant l'utilisation de tranquillisants.


Ce triste épilogue met un terme à plusieurs mois d'une mobilisation nationale appelant à sauver la tigresse et ses petits, à l'instar de celle qui s'était emparée du pays pour réclamer la libération du célèbre tigre "Ustad ", enfermé dans le zoo d'Udaipur pour avoir tué plusieurs (2) gardes du parc de Ranthambore. L'Etat du Maharashtra est donc demeuré sourd aux voix qui se sont élevées pour contester le bien fondé de la décision et les motivations réelles du ministre des forêts.

En effet, il est important de signaler qu'en début d'année, l'Etat du Maharashtra a procédé au déclassement de 467 hectares de forêts dans ce même district de Yavatmal dans le but de pouvoir notamment autoriser l'implantation d'une cimenterie du groupe Anil Dhirubhai Ambani (Reliance), lequel avait déjà acheté la plupart des terrains privés bordant la forêt. La décision longtemps reportée (depuis 2012) a finalement été prise en dépit de la proximité du sanctuaire de vie sauvage de Tipeshwar situé à quelques 60 km.

La présence avérée dès janvier 2018 de plusieurs tigres adultes dans cette zone constituait donc un obstacle au passage dans sa phase opérationnelle du projet, ce qui pouvait inciter les industriels à mettre la pression pour se débarrasser des félins. De manière générale, la pression des firmes privées, qui s'ajoute à celles des cultivateurs et éleveurs, est actuellement très forte sur les forêts ne bénéficiant pas d'un statut protecteur. Celles qui pourraient aspirer à être transformées en WLS ou TR sont ainsi extrêmement convoitées pour servir des intérêts privés.

Des raisons objectives de "neutraliser" Avni 

Sur une période de plus de 8 mois, 13 personnes sont supposées avoir été tuées par T1. Certains éléments troublants interrogent toutefois sur l'attribution de l'ensemble de ces décès à la tigresse comme l'absence d'ADN de T1 retrouvé sur certains corps ou encore le caractère récurrent des attaques les week-ends.
 
Toujours est-il que la terreur s'est répandue chez les populations locales voisines du territoire d'établissement de la tigresse...dans ce cas là, le risque est grand de voir livrer l'animal à la vindicte populaire comme cela est souvent le cas pour les léopards coutumiers des incursions dans les zones habitées. Pire, si l'Etat est taxé de laxisme et ne s'intéresse pas à la situation, des débordements et représailles des villageois sont à craindre pour l'ensemble des félins présents dans les zones concernées, mêmes ceux n'ayant rien à voir avec les faits reprochés.



Dans une récente tribune co-signé, un groupe éminent de scientifiques, biologistes et conversationnistes de renom a mis en avant le fait que même s'il était toujours regrettable de devoir à titre exceptionnel "neutraliser" un individu d'une espèce aussi menacée à l'état sauvage que le tigre, il n'en fallait pas pour autant occulter les problématiques de fond et les actions prioritaires à mener sur le terrain partout ailleurs en Inde au service de la protection du félin et de sa survie sur le long terme. Et d'ajouter qu'une tigresse qui s'est habituée à approcher les hommes et n'a plus peur de les intégrer à son "menu", ne présente malheureusement plus d'intérêt pour la conservation avec le risque au surplus d'élever des tigres "chasseurs" d'hommes.

Précisions qu'il ne s'agit pas là d'incriminer une tigresse qui a été contrainte pour des raisons qui lui échappent d'en arriver à ce type de conflit avec les hommes pour l'habitat et les ressources vitales...bien évidemment, nous sommes à l'origine de telles situations qui poussent certains tigres à vivre en frange de zones habitées dans des résidus de forêts inappropriés à la survie de grands prédateurs car dépourvues de proies sauvages et non connectées à des aires viables. Mais dédouaner T1 de la responsabilité de cette situation extrême ne signifie pas qu'il ne fallait pas agir ne serait-ce que pour garantir aux victimes, qui côtoient le prédateur dans leur vie quotidienne, que la protection du tigre ne se fait pas au détriment de leurs droits élémentaires et contre eux. L'adhésion et même parfois l'implication des populations locales aux innombrables actions de protection qui sont mises en œuvre chaque jour sur le terrain un peu partout en Inde constitue un des socles du "Tiger Project" tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Dans ces conditions, comment pouvait-on agir autrement pour calmer les tensions locales tout en offrant une autre issue à la vie de cette tigresse et de ses petits ?
Des alternatives "ignorées" ?

Sur la forme, il va sans dire que l'Etat du Maharashtra a été défaillant et a offert le spectacle consternant d'un acharnement dans l'emploi de méthodes qui, au final, envoie des signaux très négatifs aux professionnels qui luttent sans relâche pour la préservation de ce patrimoine naturel si menacé. Rien n'aura été épargné à la tigresse : pièges avec appâts, chiens traqueurs, drone et survol de la zone en ULM,  utilisation de parfums, recrutement d'un chasseur au passé controversé et aux déclarations sulfureuses pour abattre T1...pas certain que le ministre des forêts fasse preuve du même zèle pour déloger les occupants sans titre des aires naturelles protégées ou pour faire cesser les activités minières illégales.  

Dans le même temps la Chine vient de lever partiellement une interdiction vieille de 25 ans bannissant le commerce des parties de rhinocéros et de tigres en s'abritant derrière des arguments fallacieux de création d'un marché "officiel" avec des "fermes" d'élevage ou autres dispositifs de ce type répondant à leurs besoins et permettant de mettre un terme, selon eux, au marché "noir" parallèle du braconnage de ces espèces présentes à l'état sauvage...en réalité, partout les états reculent (Etats-Unis, Afrique du Sud, France, Bolivie, Chine et maintenant Brésil...) face à de puissants "lobby" pour qui la faune de notre planète se résume à des enjeux de marchandage économique et d'aménagement du territoire...

Le contexte international n'étant pas favorable et malgré certaines déclarations d'intention des états sur la préservation de la biodiversité, restées lettre morte (COP 21, COP 22, COP 23....), il est important que l'Inde ne donne pas l'impression d'encourager les braconniers de tous bords à "nettoyer" certaines forêts dans lesquelles les tigres seraient devenus indésirables, tout en leur permettant de fournir une demande chinoise en hausse. Pour se faire, les intentions doivent être clairement exposées et le caractère très exceptionnel du cas "Avni" ne souffrir d'aucune ambiguïté.  




Sur le fond, on peut légitimement s'interroger sur le fait que l'Etat du Maharashtra n'ait pas répondu aux injonctions de la Cour Suprême l'invitant à déplacer T1 et ses petits dans un enclos situé dans la réserve de Pench et à ne procéder à l'abattage de l'animal qu'en ultime recours.

Il ne reste que 4000 tigres environ à l'état sauvage et même si des signes encourageants d'une augmentation des effectifs à l'échelle planétaire nous parviennent (Russie, Népal et certainement Inde au terme du recensement 2018...), chaque vie est précieuse et mérite que l'on y apporte toute l'attention nécessaire en poussant au maximum les réflexions sur la recherche de solutions concrètes pour concilier intérêts des populations locales et survie des tigres.

Ainsi, les aires protégées comptant des effectifs réduits de tigres, supposées exemptes de présence humaine et pouvant accueillir T1 ne manquaient pas en Inde Centrale comme par exemple la réserve de Melghat, celle de Satpura ou bien encore Indravati même si cette dernière se situe dans un autre état  (le Chhattisgarh voisin). Est-ce le fait que la tigresse était accompagnée de petits qui a empêché de se pencher sérieusement sur cette alternative, des relocalisations de tigresses avec petits n'ayant encore jamais eu lieu ?

A Satkosia TR, la tigresse Sundari transférée de Bandhavgarh a été placée dans le zoo de Nandankanan, les deux décès qui lui sont attribués ayant scellés son sort et mis un terme au projet insuffisamment préparé de relocalisation de tigres dans cette réserve de l'état de l'Orissa (ou Odisha). Pourquoi ne pas avoir préféré une solution consistant à la relocaliser dans des  réserves qui remplissent les conditions pour accueillir des tigres (bonne prey base et core zone -zone principale- inviolée par les intrusions humaines quotidiennes) et qui manquent cruellement de la présence des grands fauves ? 

Toujours est-il que l'approche globale d'un conflit homme/animal implique un traitement équilibré qui ne doit pas donner l'impression d'un empressement à se débarrasser du problème en improvisant la mise en œuvre de mesures contestables.

Quel sera le sort réservé aux petits de T1 et aux autres tigres résidents dans les forêts du district de Yavatmal ? Quelle sera la volonté des autorités de proposer de réelles alternatives envoyant des messages positifs aux personnes impliquées dans la protection et la préservation des tigres ?


Les questions multiples soulevées par la mort d'Avni : perte d'habitat, insuffisance des espaces protégés et menaces pensant sur les corridors de migration des tigres d'Inde centrale...

Lorsque l'on se penche de plus près sur la situation de T1 et son lieu de résidence (district de Yavatmal au Sud-Ouest de Nagpur et au Nord-ouest de Chandrapur), force  est de constater qu'elle a été contrainte de s'établir dans une zone peu favorable à la présence de tigres. Des patchs de forêts isolés ne comportant que très peu de proies sauvages avec une activité humaine importante aux abords immédiats  constituent autant de facteurs d'émergence de conflits inextricables.

En Inde centrale, au même titre que le braconnage, la destruction des forêts au profit des industries, des activités minières et de la construction d'infrastructures linéaires de transport est une réalité qui menace gravement le devenir des 30% des tigres indiens qu'elle abrite. Le schéma ci-dessous extrait de l'excellent rapport de février 2018 du WCT (Wildlife Conservation Trust) intitulé "A Policy Framework for Connectivity Conservation and Smart Green Linear Infrastructure Development in the Central Indian and Easter Ghats" donne un aperçu des corridors reliant les différents espacés protégés disposant du statut de "Tiger Réserve" ou de "Wildlife Sanctuaries.


Dans le rapport détaillé de 2014 du WII (Wildlife Institut of India) intitulé "Connecting Tiger populations for a long-terme conservation", on constate que les corridors prioritaires pour assurer la connexion des aires protégées comme ceux de Pench-Satpura-Melghat (pages 95 à 108 du rapport) et de Kanha-Navegaon-Nagzira-Tadoba-Indravati (pages 109 à 131), n'englobent pas les forêts clairsemées  du district de Yavatmal à la différence des forêts plus denses du district de Chandrapur (situées au nord-est et au sud-est de la ville) qui abritent une population d'une cinquantaine de tigres et qui permettent ainsi d'absorber les effectifs arrivés à saturation dans la réserve de Tadoba Andari !

Les forêts du district de Yavatmal ne constituent pas dans ces conditions un enjeu pour la conservation des tigres en Inde et leur position au nord du sanctuaire de Tipeswhar n'offre pas de solution viable de désenclavement et de transit des tigres en provenance de ce sanctuaire particulièrement isolé des autres populations. 



La carte ci-dessus figure les couloirs permettant de relier Tadoba à Andravati et incluant les forêts de Chandrapur. La carte ci-dessous représente quant à elle les projets d'infrastructures linéaires, à différents stades d'avancement, mettant gravement en péril l'efficience des couloirs de migration de la faune.

Les efforts de conservation dans des réserves comme Tadoba ont rapidement porté leurs fruits au-delà même des espérances et la population de tigres a explosé, prenant de court les autorités qui ne peuvent compter sur les zones tampon en cours d'aménagement pour contenir le "surplus" de tigres.

Or, il y a urgence à définir des stratégies locales permettant d'offrir aux félins des perspectives pour rechercher des espaces propices où s'établir.

En effet, avec les incidents entre villageois et tigres qui se multiplient aux alentours de Nagpur comme de Chandrapur, c'est à l'orchestration de véritables campagnes punitives qu'il faut s'attendre à l'avenir comme celle ayant conduit le 4 novembre 2018 à la mise à mort d'une tigresse en représailles à l'attaque d'un villageois en pleine zone protégée de Kishanpur, toute proche de la réserve de Dudhwa dans l'état de l'Uttar Pradesh (la réserve se heurte actuellement au double problème de l'expansion des plantations de canne à sucre et du refus des villageois situés dans la core zone d'être relocalisés à l'extérieur des aires protégées).

Les questions soulevées par la traque très médiatisée d'Avni et les problématiques sous-jacentes nous interpellent collectivement. Elles  demandent que nous avancions dans l'identification des enjeux stratégiques qui vont déterminer les orientations des actions de protection à mener au cours des prochaines décennies :
  • sur les 50 "Tiger Réserves" indiennes, une vingtaine remplit effectivement son rôle dans l'accueil des tigres et seule un peu plus d'une dizaine présente actuellement une population viable sur le long terme selon les critères du WWI et de la NTCA ;
  • partant du constat effectué lors du recensement de 2014 qu'environ 30% des tigres se sont établis hors des aires protégées, des propositions d'extension des forêts classées ou bien de renforcement du statut de certains sanctuaires de vie sauvage ont été mises sur la table (ex : trois sanctuaires dans l'Etat de l'Uttarakand sont proposés pour devenir des TR au même titre que Corbett et Rajaji) ;
  • or, quel est l'intérêt de  conférer des statuts protecteurs à de nouveaux territoires si dans les faits et comme cela est constaté dans certaines TR des  villages sont maintenus en nombre dans les core zones et les activités illégales (exploitation minière, destruction de la forêt pour implanter des cultures et faire paître le bétail, installations de campements et d'habitation illégales...) empêchant l'établissement de populations viables de félins prospèrent ? ;
  • en outre, lorsque les efforts de protection sont récompensés dans certaines TR, faute d'effectivité des corridors entre aires protégées, les échanges indispensables entre populations sont hasardeux voir rendus impossibles par la création de barrières infranchissables, par la destruction de l'habitat favorable ou encore par le braconnage des proies sauvages présentes dans les couloirs de migration. Cette pression sur les corridors est particulièrement intense pour les populations de tigres d'Inde centrale et d'Inde de l'Ouest (WITL). 

Au lendemain du census de 2014 confirmant la présence de tigres hors des aires protégées, dans un documentaire passionnant de 2014 intitulé "The forgotten tigers" s'intéresse à ces tigres errants à la recherche de territoires favorables où s'établir en empruntant les couloirs migratoires.

Parcourant l'Inde du Nord au sud et se rendant dans les différents biotopes du tigre (Arc du Terai au nord, Western Ghats au sud et réserves d'Inde Centrale), il nous expose d'abord les difficultés rencontrés par les félins en transit entre les réserves de Rajaji et Corbett avant de nous montrer la démarche exemplaire de l'Etat du Karnataka qui a pris l'initiative de reboiser 11 000 km² de forêts situées dans les couloirs connectant les réserves.

Enfin, il achève son périple en nous présentant l'immensité du défi de maintien ou de restauration de corridors effectifs en Inde centrale, notamment aux abords de la réserve de Tadoba Andari : dans une vision prophétique qui nous renvoie à l'impasse dans laquelle se trouvait la tigresse Avni, les images terribles d'un jeune tigre perdu au milieu d'une foule surexcitée et menaçante et cherchant désespérément une échappatoire !