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jeudi 8 novembre 2018

Avni, une "icône" sacrifiée sur l'autel du développement !?

Avni, une "icône" sacrifiée sur l'autel du développement !?!


Chronique d'une mort annoncée

Dans la nuit du 2 au 3 novembre 2018 s'est achevée tragiquement l'affaire "AVNI" (T1), cette tigresse mère de deux petits, accusée d'avoir tué 13 personnes et pour laquelle l'Etat du Maharashtra a déployé des moyens sans précédents pour neutraliser celle dont il a consciencieusement et patiemment dresser le portrait d'un "man-eater". Le fils du chasseur professionnel Nawab Shaftah Ali Khan s'est chargé de l'exécution de la sentence, piétinant au passage les injonctions de la Cour Suprême indienne, enjoignant au gouvernement du Maharashtra de tout tenter pour épargner la vie de l'animal en privilégiant l'utilisation de tranquillisants.


Ce triste épilogue met un terme à plusieurs mois d'une mobilisation nationale appelant à sauver la tigresse et ses petits, à l'instar de celle qui s'était emparée du pays pour réclamer la libération du célèbre tigre "Ustad ", enfermé dans le zoo d'Udaipur pour avoir tué plusieurs (2) gardes du parc de Ranthambore. L'Etat du Maharashtra est donc demeuré sourd aux voix qui se sont élevées pour contester le bien fondé de la décision et les motivations réelles du ministre des forêts.

En effet, il est important de signaler qu'en début d'année, l'Etat du Maharashtra a procédé au déclassement de 467 hectares de forêts dans ce même district de Yavatmal dans le but de pouvoir notamment autoriser l'implantation d'une cimenterie du groupe Anil Dhirubhai Ambani (Reliance), lequel avait déjà acheté la plupart des terrains privés bordant la forêt. La décision longtemps reportée (depuis 2012) a finalement été prise en dépit de la proximité du sanctuaire de vie sauvage de Tipeshwar situé à quelques 60 km.

La présence avérée dès janvier 2018 de plusieurs tigres adultes dans cette zone constituait donc un obstacle au passage dans sa phase opérationnelle du projet, ce qui pouvait inciter les industriels à mettre la pression pour se débarrasser des félins. De manière générale, la pression des firmes privées, qui s'ajoute à celles des cultivateurs et éleveurs, est actuellement très forte sur les forêts ne bénéficiant pas d'un statut protecteur. Celles qui pourraient aspirer à être transformées en WLS ou TR sont ainsi extrêmement convoitées pour servir des intérêts privés.

Des raisons objectives de "neutraliser" Avni 

Sur une période de plus de 8 mois, 13 personnes sont supposées avoir été tuées par T1. Certains éléments troublants interrogent toutefois sur l'attribution de l'ensemble de ces décès à la tigresse comme l'absence d'ADN de T1 retrouvé sur certains corps ou encore le caractère récurrent des attaques les week-ends.
 
Toujours est-il que la terreur s'est répandue chez les populations locales voisines du territoire d'établissement de la tigresse...dans ce cas là, le risque est grand de voir livrer l'animal à la vindicte populaire comme cela est souvent le cas pour les léopards coutumiers des incursions dans les zones habitées. Pire, si l'Etat est taxé de laxisme et ne s'intéresse pas à la situation, des débordements et représailles des villageois sont à craindre pour l'ensemble des félins présents dans les zones concernées, mêmes ceux n'ayant rien à voir avec les faits reprochés.



Dans une récente tribune co-signé, un groupe éminent de scientifiques, biologistes et conversationnistes de renom a mis en avant le fait que même s'il était toujours regrettable de devoir à titre exceptionnel "neutraliser" un individu d'une espèce aussi menacée à l'état sauvage que le tigre, il n'en fallait pas pour autant occulter les problématiques de fond et les actions prioritaires à mener sur le terrain partout ailleurs en Inde au service de la protection du félin et de sa survie sur le long terme. Et d'ajouter qu'une tigresse qui s'est habituée à approcher les hommes et n'a plus peur de les intégrer à son "menu", ne présente malheureusement plus d'intérêt pour la conservation avec le risque au surplus d'élever des tigres "chasseurs" d'hommes.

Précisions qu'il ne s'agit pas là d'incriminer une tigresse qui a été contrainte pour des raisons qui lui échappent d'en arriver à ce type de conflit avec les hommes pour l'habitat et les ressources vitales...bien évidemment, nous sommes à l'origine de telles situations qui poussent certains tigres à vivre en frange de zones habitées dans des résidus de forêts inappropriés à la survie de grands prédateurs car dépourvues de proies sauvages et non connectées à des aires viables. Mais dédouaner T1 de la responsabilité de cette situation extrême ne signifie pas qu'il ne fallait pas agir ne serait-ce que pour garantir aux victimes, qui côtoient le prédateur dans leur vie quotidienne, que la protection du tigre ne se fait pas au détriment de leurs droits élémentaires et contre eux. L'adhésion et même parfois l'implication des populations locales aux innombrables actions de protection qui sont mises en œuvre chaque jour sur le terrain un peu partout en Inde constitue un des socles du "Tiger Project" tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Dans ces conditions, comment pouvait-on agir autrement pour calmer les tensions locales tout en offrant une autre issue à la vie de cette tigresse et de ses petits ?
Des alternatives "ignorées" ?

Sur la forme, il va sans dire que l'Etat du Maharashtra a été défaillant et a offert le spectacle consternant d'un acharnement dans l'emploi de méthodes qui, au final, envoie des signaux très négatifs aux professionnels qui luttent sans relâche pour la préservation de ce patrimoine naturel si menacé. Rien n'aura été épargné à la tigresse : pièges avec appâts, chiens traqueurs, drone et survol de la zone en ULM,  utilisation de parfums, recrutement d'un chasseur au passé controversé et aux déclarations sulfureuses pour abattre T1...pas certain que le ministre des forêts fasse preuve du même zèle pour déloger les occupants sans titre des aires naturelles protégées ou pour faire cesser les activités minières illégales.  

Dans le même temps la Chine vient de lever partiellement une interdiction vieille de 25 ans bannissant le commerce des parties de rhinocéros et de tigres en s'abritant derrière des arguments fallacieux de création d'un marché "officiel" avec des "fermes" d'élevage ou autres dispositifs de ce type répondant à leurs besoins et permettant de mettre un terme, selon eux, au marché "noir" parallèle du braconnage de ces espèces présentes à l'état sauvage...en réalité, partout les états reculent (Etats-Unis, Afrique du Sud, France, Bolivie, Chine et maintenant Brésil...) face à de puissants "lobby" pour qui la faune de notre planète se résume à des enjeux de marchandage économique et d'aménagement du territoire...

Le contexte international n'étant pas favorable et malgré certaines déclarations d'intention des états sur la préservation de la biodiversité, restées lettre morte (COP 21, COP 22, COP 23....), il est important que l'Inde ne donne pas l'impression d'encourager les braconniers de tous bords à "nettoyer" certaines forêts dans lesquelles les tigres seraient devenus indésirables, tout en leur permettant de fournir une demande chinoise en hausse. Pour se faire, les intentions doivent être clairement exposées et le caractère très exceptionnel du cas "Avni" ne souffrir d'aucune ambiguïté.  




Sur le fond, on peut légitimement s'interroger sur le fait que l'Etat du Maharashtra n'ait pas répondu aux injonctions de la Cour Suprême l'invitant à déplacer T1 et ses petits dans un enclos situé dans la réserve de Pench et à ne procéder à l'abattage de l'animal qu'en ultime recours.

Il ne reste que 4000 tigres environ à l'état sauvage et même si des signes encourageants d'une augmentation des effectifs à l'échelle planétaire nous parviennent (Russie, Népal et certainement Inde au terme du recensement 2018...), chaque vie est précieuse et mérite que l'on y apporte toute l'attention nécessaire en poussant au maximum les réflexions sur la recherche de solutions concrètes pour concilier intérêts des populations locales et survie des tigres.

Ainsi, les aires protégées comptant des effectifs réduits de tigres, supposées exemptes de présence humaine et pouvant accueillir T1 ne manquaient pas en Inde Centrale comme par exemple la réserve de Melghat, celle de Satpura ou bien encore Indravati même si cette dernière se situe dans un autre état  (le Chhattisgarh voisin). Est-ce le fait que la tigresse était accompagnée de petits qui a empêché de se pencher sérieusement sur cette alternative, des relocalisations de tigresses avec petits n'ayant encore jamais eu lieu ?

A Satkosia TR, la tigresse Sundari transférée de Bandhavgarh a été placée dans le zoo de Nandankanan, les deux décès qui lui sont attribués ayant scellés son sort et mis un terme au projet insuffisamment préparé de relocalisation de tigres dans cette réserve de l'état de l'Orissa (ou Odisha). Pourquoi ne pas avoir préféré une solution consistant à la relocaliser dans des  réserves qui remplissent les conditions pour accueillir des tigres (bonne prey base et core zone -zone principale- inviolée par les intrusions humaines quotidiennes) et qui manquent cruellement de la présence des grands fauves ? 

Toujours est-il que l'approche globale d'un conflit homme/animal implique un traitement équilibré qui ne doit pas donner l'impression d'un empressement à se débarrasser du problème en improvisant la mise en œuvre de mesures contestables.

Quel sera le sort réservé aux petits de T1 et aux autres tigres résidents dans les forêts du district de Yavatmal ? Quelle sera la volonté des autorités de proposer de réelles alternatives envoyant des messages positifs aux personnes impliquées dans la protection et la préservation des tigres ?


Les questions multiples soulevées par la mort d'Avni : perte d'habitat, insuffisance des espaces protégés et menaces pensant sur les corridors de migration des tigres d'Inde centrale...

Lorsque l'on se penche de plus près sur la situation de T1 et son lieu de résidence (district de Yavatmal au Sud-Ouest de Nagpur et au Nord-ouest de Chandrapur), force  est de constater qu'elle a été contrainte de s'établir dans une zone peu favorable à la présence de tigres. Des patchs de forêts isolés ne comportant que très peu de proies sauvages avec une activité humaine importante aux abords immédiats  constituent autant de facteurs d'émergence de conflits inextricables.

En Inde centrale, au même titre que le braconnage, la destruction des forêts au profit des industries, des activités minières et de la construction d'infrastructures linéaires de transport est une réalité qui menace gravement le devenir des 30% des tigres indiens qu'elle abrite. Le schéma ci-dessous extrait de l'excellent rapport de février 2018 du WCT (Wildlife Conservation Trust) intitulé "A Policy Framework for Connectivity Conservation and Smart Green Linear Infrastructure Development in the Central Indian and Easter Ghats" donne un aperçu des corridors reliant les différents espacés protégés disposant du statut de "Tiger Réserve" ou de "Wildlife Sanctuaries.


Dans le rapport détaillé de 2014 du WII (Wildlife Institut of India) intitulé "Connecting Tiger populations for a long-terme conservation", on constate que les corridors prioritaires pour assurer la connexion des aires protégées comme ceux de Pench-Satpura-Melghat (pages 95 à 108 du rapport) et de Kanha-Navegaon-Nagzira-Tadoba-Indravati (pages 109 à 131), n'englobent pas les forêts clairsemées  du district de Yavatmal à la différence des forêts plus denses du district de Chandrapur (situées au nord-est et au sud-est de la ville) qui abritent une population d'une cinquantaine de tigres et qui permettent ainsi d'absorber les effectifs arrivés à saturation dans la réserve de Tadoba Andari !

Les forêts du district de Yavatmal ne constituent pas dans ces conditions un enjeu pour la conservation des tigres en Inde et leur position au nord du sanctuaire de Tipeswhar n'offre pas de solution viable de désenclavement et de transit des tigres en provenance de ce sanctuaire particulièrement isolé des autres populations. 



La carte ci-dessus figure les couloirs permettant de relier Tadoba à Andravati et incluant les forêts de Chandrapur. La carte ci-dessous représente quant à elle les projets d'infrastructures linéaires, à différents stades d'avancement, mettant gravement en péril l'efficience des couloirs de migration de la faune.

Les efforts de conservation dans des réserves comme Tadoba ont rapidement porté leurs fruits au-delà même des espérances et la population de tigres a explosé, prenant de court les autorités qui ne peuvent compter sur les zones tampon en cours d'aménagement pour contenir le "surplus" de tigres.

Or, il y a urgence à définir des stratégies locales permettant d'offrir aux félins des perspectives pour rechercher des espaces propices où s'établir.

En effet, avec les incidents entre villageois et tigres qui se multiplient aux alentours de Nagpur comme de Chandrapur, c'est à l'orchestration de véritables campagnes punitives qu'il faut s'attendre à l'avenir comme celle ayant conduit le 4 novembre 2018 à la mise à mort d'une tigresse en représailles à l'attaque d'un villageois en pleine zone protégée de Kishanpur, toute proche de la réserve de Dudhwa dans l'état de l'Uttar Pradesh (la réserve se heurte actuellement au double problème de l'expansion des plantations de canne à sucre et du refus des villageois situés dans la core zone d'être relocalisés à l'extérieur des aires protégées).

Les questions soulevées par la traque très médiatisée d'Avni et les problématiques sous-jacentes nous interpellent collectivement. Elles  demandent que nous avancions dans l'identification des enjeux stratégiques qui vont déterminer les orientations des actions de protection à mener au cours des prochaines décennies :
  • sur les 50 "Tiger Réserves" indiennes, une vingtaine remplit effectivement son rôle dans l'accueil des tigres et seule un peu plus d'une dizaine présente actuellement une population viable sur le long terme selon les critères du WWI et de la NTCA ;
  • partant du constat effectué lors du recensement de 2014 qu'environ 30% des tigres se sont établis hors des aires protégées, des propositions d'extension des forêts classées ou bien de renforcement du statut de certains sanctuaires de vie sauvage ont été mises sur la table (ex : trois sanctuaires dans l'Etat de l'Uttarakand sont proposés pour devenir des TR au même titre que Corbett et Rajaji) ;
  • or, quel est l'intérêt de  conférer des statuts protecteurs à de nouveaux territoires si dans les faits et comme cela est constaté dans certaines TR des  villages sont maintenus en nombre dans les core zones et les activités illégales (exploitation minière, destruction de la forêt pour implanter des cultures et faire paître le bétail, installations de campements et d'habitation illégales...) empêchant l'établissement de populations viables de félins prospèrent ? ;
  • en outre, lorsque les efforts de protection sont récompensés dans certaines TR, faute d'effectivité des corridors entre aires protégées, les échanges indispensables entre populations sont hasardeux voir rendus impossibles par la création de barrières infranchissables, par la destruction de l'habitat favorable ou encore par le braconnage des proies sauvages présentes dans les couloirs de migration. Cette pression sur les corridors est particulièrement intense pour les populations de tigres d'Inde centrale et d'Inde de l'Ouest (WITL). 

Au lendemain du census de 2014 confirmant la présence de tigres hors des aires protégées, dans un documentaire passionnant de 2014 intitulé "The forgotten tigers" s'intéresse à ces tigres errants à la recherche de territoires favorables où s'établir en empruntant les couloirs migratoires.

Parcourant l'Inde du Nord au sud et se rendant dans les différents biotopes du tigre (Arc du Terai au nord, Western Ghats au sud et réserves d'Inde Centrale), il nous expose d'abord les difficultés rencontrés par les félins en transit entre les réserves de Rajaji et Corbett avant de nous montrer la démarche exemplaire de l'Etat du Karnataka qui a pris l'initiative de reboiser 11 000 km² de forêts situées dans les couloirs connectant les réserves.

Enfin, il achève son périple en nous présentant l'immensité du défi de maintien ou de restauration de corridors effectifs en Inde centrale, notamment aux abords de la réserve de Tadoba Andari : dans une vision prophétique qui nous renvoie à l'impasse dans laquelle se trouvait la tigresse Avni, les images terribles d'un jeune tigre perdu au milieu d'une foule surexcitée et menaçante et cherchant désespérément une échappatoire !

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