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samedi 13 octobre 2018

Vie sauvage et développement

 Inde sauvage et développement : comment éviter l'impasse des constructions humaines "irraisonnées" ?

Les animaux tués sur les routes de l'Inde suivent la courbe ascendante de la construction du réseau autoroutier et de l'urbanisation du pays. C'est la rançon payée par la nature à l'inévitable modernisation.des infrastructures Blog Pierre Chéron Parmi tous ces animaux, les léopards ont acquitté le plus lourd tribut car c'est un animal adaptable qui ne craint pas la proximité de l'homme. Celle-ci lui est souvent fatale.

© Wildlife Institute of India
Famille de léopards écrasés gisant au bord d'une route
La fin de l'année 2017 et le début de l'année 2018 ont vu également un nombre important de tigres morts sur les routes indiennes. Les rares forêts préservées sont bien souvent éventrées pour construire des autoroutes. Blog Pierre Chéron Le mois de décembre a été terrible avec toutes ces photos de cadavres de tigres au bord des routes. Mais ce type de mort n'est pas la cause de mortalité "accidentelle".

Les clôtures électrifiées font également des ravages parmi la faune sauvage. Au mois de juillet 2018, un tigre et un léopard ont été retrouvés morts suite à électrocution dans les "backwaters" de la réserve de Nagarhole (Kabini réservoir) située dans l'état du Karnataka. 

Les éléphants sont fréquemment victimes de ces dangers car ils sont plus exposés. En effet, certaines lignes haute tension ou postes de transformation se situent dans des zones de transit des éléphants, ce qui implique la conception d'installations adaptées pour prévenir les risques d'électrocution des pachydermes (gabarits spécifiques des lignes pour les rendre inaccessibles aux éléphants, protection des installations électriques des postes....). Selon les chiffres communiqués par la "Wildlife Protection Society of India", ce sont pas moins de 350 éléphants qui sont morts électrocutés entre 2010 et 2016.

Ainsi, peut-on citer le cas d'une mère et de  son éléphanteau, morts  en septembre 2016 pour s'être trop approchés d'un poteau électrique alors qu'ils empruntaient avec le reste du troupeau d'une quarantaine d'individus, un couloir migratoire dans une plantation de thé proche de Darjeeling (état du "West Bengal")

Villageois honorant avec des fleurs les éléphants morts électrocutés 

Le volume 1 du rapport "A Policy Framework Connectivity Conservation and Smart Green Linear Infrastructure Development in the central India and Eastern Ghats Tiger Landscape" publié début 2018 sous l'égide du Wildlife Conservation Trust (WCT) dresse un état des lieux sans concessions des projets d'infrastructures linéaires lourds qui menacent les corridors de connexion des sanctuaires de vie sauvage. Mais les conclusions se veulent volontaristes et non fatalistes et en appellent aux pouvoir publics afin d'intégrer à l'avenir les éléments de nature à concilier les intérêts des projets reconnus d'utilité public et nécessaires au développement du pays avec ceux de la préservation du patrimoine naturel indien.

Afin d'éviter toute approche dogmatique et pour ne pas provoquer les réactions inverses à celles escomptées par les tenants d'un développement économique effréné, le rapport cible les corridors stratégiques sur lesquels concentrer les réflexions en vue de définir prioritairement des tracés alternatifs ou bien les mesures de mitigation adaptées. Rappelons que la définition d'objectifs de conservation découle directement du "Wildlife (Protection) Act" de 1972, du "Forest (Conservation) Act" de 1980 et de l'"Environment (Protection) Act" de 1995  qui constituent en Inde le socle législatif pour la création d'aires protégées, notamment pour les tigres,  reliées entre elles par des corridors de migration de la faune sauvage, eux aussi visés par ces textes. 

Sur les quelques 1697 projets d'infrastructures linéaires (routes, chemins de fer, canaux) relatifs à l'inde Centrale et aux Eastern Ghats, 399 environ interfèrent avec le réseau de corridors utilisé par la faune sauvage. Actuellement, seuls 26 corridors sont officiellement identifiés par le WII dans les 8 états (Andhra Pradesh, Chhattisgarh, Jharkhand, Maharashtra, Madhya Pradesh, Odisha, Rajasthan, Telangana) que compte l'habitat des tigres alors qu'il y en a en réalité bien plus empruntés par les tigres et la faune sauvage.

Il est important dans ces conditions d'identifier ceux présentant un intérêt majeur pour la dispersion des tigres en vue de garantir l'existence d'une métapopulation ou bien pour assurer le déplacement en sécurité des éléphants par exemple. Il en va de l'avenir de ces espèces emblématiques du sous-continent indien sur le long terme. Fin juillet 2018, le NTCA (National Tiger Conservation Authority) donnait le top départ d'un plan relatif à la protection de 32 corridors.

Sur les 399 projets en potentiel conflit avec des corridors, 86% (soit 346 sur 399) ont été considérés dans une première approche par les organismes utilisateurs des infrastructures projetés comme ne nécessitant pas de mesures spécifiques pour la protection de la vie sauvage d'où l'importance comme le souligne et le démontre le rapport du WCT, de déterminer de manière pragmatique lesquels de ces projets sont de nature à impacter la connectivité des espaces protégés (voir carte ci-dessous graduant l'importance des corridors dans la connectivité des habitats protégés du tigre). 
Carte représentant les aires protégées et en rouge les corridors prioritaires
pour assurer une connectivité © Wildlife Conservation Trust
Les recherches récentes ont permis de mieux appréhender la dynamique de migration des animaux et d'orienter ainsi les mesures à prioriser. Ainsi, les scientifiques et naturalistes se sont rendus compte, notamment par l'étude des déplacements des individus "monitorés", que deux aires protégées pouvaient être connectées par plusieurs corridors à  la fois. En outre, les aires protégées de taille réduite occupent une place stratégique dans la création d'un réseau d'ensemble interconnecté puisqu'elles offrent des étapes aux animaux reliant deux aires protégées importantes (ex : deux Tiger Reserve) séparées par une longue distance. 
Les deux cartes ci-contre et ci-dessous  représentent respectivement les aires protégées (PAs) d'Inde Centrale d'un côté et la densité des infrastructures et constructions humaines représentant des barrières pour la migration des animaux de l'autre.

En Inde Centrale et dans le cadre des corridors pouvant potentiellement relier les "pools génétiques" des tigres d'Inde de l'Ouest et d'Inde Centrale, les deux principaux états concernés du Rajasthan et  du Madhya Pradesh présentent un nombre très important de projets routiers menaçant la continuité des patchs de forêts reliant les parcs et sanctuaires protégés.
Les projets routiers sont figurés dans les deux cartes ci-dessous par des bandes noires et rouges représentant les tracés projetés. En Inde Centrale, l'Etat du Madhya Pradesh qui compte le plus d'aires protégées occupe la première place dans le programme de développement des infrastructures routières.
Carte représentant les réserves, sanctuaires et parcs du MP ainsi que les forêts les reliant et les projets d'infrastructures projetés © Wildlife Conservation Trust
Certains parcs risquent de se retrouver totalement "ceinturés" par des barrières infranchissables pour les animaux comme il est possible de l'observer au niveau des sanctuaires de Ramgarh situé aux alentours de Bundi dans le Rajasthan. 


Carte représentant les réserves, sanctuaires et parcs du Rajasthan ainsi que les forêts les reliant et les projets d'infrastructures projetés © Wildlife Conservation Trust










De nombreux exemples passés montrent que certaines infrastructures ont été réalisées sans mettre en œuvre les dispositifs de nature à faire coexister routes principales et déplacements en sécurité de la faune sauvage. Pour ne citer que quelques exemples routiers et ferroviaires : en 2015, l'extension de la "National Highway" 7 appelée désormais NH-44 intercepte le corridor Kanha-Satpura TR, l'élargissement de la NH-6 pour un passage à 4 voies en 2009-2010 a fragilisé les corridors Kanha-Nawegaon-Tadoba-Indravati et Nagzira-Nawageon, idem en 2012 pour le passage à 4 voies de l'autoroute Nagpur-Betul à travers le corridor Pench-Melghat TR et celui de la double voie de la route Nagpur-Chhindwara à travers le corridor Pench-Satpura TR, la liaison ferroviaire principale reliant Delhi à Chennai traverse pas moins de 7 corridors dont le Ratapani WLS, l'extension de la ligne Nagpur-Chhindwara menace le corridor Pench-Satpura...

En examinant les chiffres des emprises nécessaires à la réalisation de ces projets d'infrastructures linéaires, on s'aperçoit qu'ils ne représentent que 72 hectares de forêts. Les dommages causés ne concernent donc pas la problématique de déforestation (consécutive au développement des projets miniers ou à d'autres projets)  mais bien l'absence de mesures efficaces de mitigation permettant aux animaux de ne pas être exposés aux dangers inhérents à la circulation des véhicules.  Après d'intenses débats, l'Etat du Karnataka vient de reconduire l'interdiction des traversées nocturne du parc de Bandipur à la satisfaction des activistes et naturalistes qui s'étaient fortement mobilisés. Les chiffres étaient éloquents puisque cette interdiction a permis en quelques années de diviser par plus de deux le nombre d'animaux morts suite à des collisions.

La "National Highways Authority of India" (NHAI) s'avère parfois peu encline à intégrer les mesures coûteuses de mitigation de type passage inférieur ou supérieur "grande faune" avant que la Cour Suprême indienne ne se soit prononcée pour définir des interdictions ou obligations. C'est le cas pour la projet d'extension de la NH-44 menaçant plusieurs corridors des réserves de tigres de Kanha et Pench.


Fragmentation et isolement des habitats favorables peuvent avoir des conséquences dramatiques sur les espèces résidentes et voir leurs effectifs s'effondrer drastiquement, engendrant des effets bien plus néfastes et coûteux en définitif que les surcoûts aux projets qu'impliquerait la mise en œuvre de mesure de mitigation efficaces. 
Toutefois, la mobilisation en Inde pour protéger le patrimoine naturel est une tradition et beaucoup d'indiens en appelle autorités, naturalistes, écologistes et ingénieurs pour imaginer des solutions "win/win" en multipliant échanges et concertations sur les projets. L'Inde a sans conteste les moyens de prendre le "leadership" mondial sur ces questions et d'inventer de nouveaux modèles de développement respectueux de l'environnement pour une maîtrise des ressources naturelles et une préservation des espaces de biodiversité.

La Cour Suprême qui constitue encore l'ultime recours pour faire appliquer la législation vient d'ordonner la fermeture ou le déplacement de 27 "Resorts" dans les Nilgiris, faisant partie des quelques 821 constructions implantées illégalement dans le couloir de migration emprunté par 900 éléphants pour relier Western Chats et Eastern Ghats et identifiées dans le rapport "Gajah" de l'"Elephant Task Force". 



Troupeau d'éléphants conduit au point d'eau par une matriarche
dans le parc national de Kaziranga dans l'état de l'Assam
Impressionnant Tusker - Kabini
  

Autour de MM Hills Wildlife Sanctuary et de Biligiriranga TR, des initiatives privées ont permis de racheter des terres menaçant le corridor de Edayarahalli-Doddasampige afin de transférer les terrains en gestion au "Forest Departement". Des dizaines d'hectares de forêt dans le district de Chamarajanagar ont ainsi été soustraits à l'appétit des hommes afin de garantir migration et déplacements plus faciles aux quelques 3000 éléphants qu'abritent la réserve de tigres de Bandipur, le MM Hills Wildlife Sanctuary et le Cauvery Wildlife Sanctuary.

Textes et photos Vincent Dabadie
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