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mercredi 27 juin 2018

Kanha Diaries 2018 - Episode III

Mukki Zone 

Rencontre "mortelle" pour une destinée tragique !


KNP - T31 Chhoti Mada © Vincent Dabadie - 18/04/2018 
Nous venons de passer deux jours superbes à Mukki dans la core zone de la réserve de Kanha. Les "sightings" ont été excellentes et nous abordons ce dernier safari à Mukki sereinement en compagnie de notre guide, débarrassés de l'anxiété des premières sorties où les attentes sont grandes et l'appréhension de possibles déceptions bien présente.

Tôt le matin, nous tombons sur un petit groupe de barasinghas males dans la douce lumière du matin...l'ambiance est sublime et la magie de Kanha opère une fois de plus !

KNP - Barasinghas dans Mukki © VD - 18/04/2018 
Un peu plus tôt, nous avions tenté sans succès d'observer Mahabir (T33) et sa nouvelle portée et un nouveau challenger, Garhi Male (T50), établis dans la partie sud de la zone, proche de Mukki Gate.

Après l'étape des Barasinghas, nous nous dirigeons vers le secteur dit de "Dawajhandhi" avec de solides espoirs de surprendre la famille de Chhota Munna (T29) et Dawajhandhi (T27) en pleine baignade dans le magnifique point d'eau de "Babathenga Talab".

Mais avant de s'y rendre, notre guide décide de s'aventurer sur le territoire de Chhoti Mada (T31), la mère de Dawajhandhi, que nous n'avions pas réussi à apercevoir les jours précédents et pour cause...elle vient d'avoir une portée et les trois petits ont moins de deux mois !

Toutefois, la semaine précédente, elle a été observée avec sa progéniture à l'unique point d'eau situé en plein cœur de son territoire. Un face à face assez surprenant l'avait alors opposé dans l'eau, au jeune mais déjà très puissant MB3, fils de la précédente portée de Mahabir.

La scène était assez surréaliste puisque les petits cubs semblaient défier le tigre mâle, confortablement installés sur le ventre de leur mère....MB3 dû rester impassible en raison de la présence "tutélaire" d'Umarpani (T30), le mâle dominant et incontesté de la plus grande partie de Mukki. Pour assoir sa suprême autorité, nul besoin de défier le jeune présomptueux, il suffit à Umarpani de se mettre à l'eau pour réduire à néant les prétentions de l'impudent et inexpérimenté MB2.

Entre Chhoti Mada et le jeune tigre en quête de territoire, un contentieux "familial" de plusieurs mois existe.  Un affrontement violent entre son frère, MB1, et la tigresse avait en effet été rapporté en novembre 2017 dans le même secteur. A l'époque MB1 était encore trop jeune pour inquiéter réellement une tigresse en pleine maturité comme Chhoti Mada (âgé de 10 ans). Aujourd'hui les choses sont très différentes avec MB2, plus puissant que son frère, et seule la vigilance d'Umarpani permet d'assurer une sécurité précaire aux petits tigres.

Conscient de la pression supplémentaire qu'exerce la présence de nombreuses jeeps dans la zone, le "Forest Department" a décidé de disposer des barrières afin que la petite famille ne soit plus dérangée au point d'eau, dans cette phase critique où les bébés sont soumis à de nombreuses menaces.

Après avoir inspecté les environs de la zone rendue inaccessible, nous empruntons une piste et sommes rapidement alertés par la présence de deux jeeps à l'arrêt.

Nous immobilisons à notre tour notre véhicule et coupons le moteur....nous sommes aussitôt saisis par le bruit sourd de feulements de ce qui semble provenir d'un "duo" de tigres !

Des rugissements glaçants, à intervalles réguliers, déchirent le silence de la jungle et nous sortent de la torpeur matinale...nous réalisons petit à petit le drame qui se joue à quelques mètres de nous à l'abri de l'épais "bush".

...


Nous n'apercevons que par intermittence les silhouettes des deux protagonistes qui se tournent autour et semblent se défier. L'une est beaucoup plus massive et imposante que l'autre et nous comprenons très vite que Chhoti Mada est aux prises avec un tigre mâle qui a fait intrusion sur son territoire.

Par moment, l'air charrie une lourde odeur de "Kill" qui trahit l'objet probable de la discorde. La tension est extrême et si les séquences de combat ne sont pas fratricides, on perçoit la violence soudaine et sporadique des altercations qui émaillent le face à face.

Dans ce genre de situation, quelques secondes de lutte intense peuvent suffire à infliger des blessures graves pouvant occasionner la mort d'un des assaillants.

Lorsque les tigres apparaissent furtivement dans une trouée de végétation, il nous semble que Chhoti Mada s'attarde dans un petit pré carré en le défendant âprement...elle lèche visiblement quelque chose sur le sol, certainement la carcasse de l'animal tué dans la nuit. Les tigres sont capables de se livrer des combats mortels pour défendre un repas chèrement acquis.

Après plus d'une heure, une masse de muscles s'éloigne à l'opposé de la piste où nous nous trouvons et s'enfonce dans la forêt. Ne reste plus que Chhoti Mada qui semble très agitée et s'apprête à sortir de la végétation pour rejoindre la route.

Avec difficulté, no
us distinguons à travers les feuillages la lente progression de la tigresse qui semble tenir quelque chose dans sa gueule...oui, c'est bien ça ! Certainement un de ses petits. Nous sommes prêts à exulter car il est très rare d'avoir l'opportunité d'assister à ce genre de scène avec une mère transportant ainsi son petit.


KNP - Chhoti Mada sortant des fourrées © VD - 18/04/2018

Ce que nous allons découvrir à la sortie du "Bush" est encore plus rare...le petit a effectivement la tête positionnée dans la gueule de sa mère mais le petit corps est balloté de droite et de gauche et semble inerte...nous mettons quelques secondes à réaliser qu'il est mort et que sa mère marche d'un pas funeste pour mettre sa dépouille en lieu sûr.
Après quelques mètres, plus aucun doute n'est permis, la tigresse porte les lourds stigmate de la bataille qu'elle vient de livrer et ses blessures sont multiples (aux pattes avant, sur le museau et l'oreille...). Le petit tigre quant à lui a certainement été tué d'un simple coup de patte donné par le mâle au niveau de son ventre ensanglanté.

L
a scène est à la fois dramatique et émouvante car il nous est donné d'observer avec quelle infinie délicatesse la tigresse prend soin de la dépouille de son petit. Elle la dépose puis la reprend à plusieurs reprises afin de pouvoir vérifier qu'elle n'est pas suivie par MB2. Son regard touchant est stupéfiant de désespoir ! Après avoir jeté plusieurs coups d'oeil dans notre direction, elle s'éloigne enfin pour regagner le secteur fermé aux visiteurs, proche du point d'eau.

En ses heures bien sombres, le royaume d'Umarpani vacille et semble bien désolé et inhospitalier quand sa reine se trouve à la merci de "simples vagabonds" et de leur furieuse colère. Sa zone de dominance s'étend du cœur de Mukki jusqu'à la buffer zone de Kapha, chevauchant le territoire de nombreuses tigresses, ce qui le place dans l'impossibilité matérielle d'assurer la protection des femelles et de leurs portées sur un espace aussi vaste comportant une forte densité de tigres et comptant des concurrents potentiels.

Abasourdis, nous nous lançons dans des conjectures pour retracer le détail des évènements et échafaudons un scénario propice à conserver quelques espoirs.

Ainsi, la tigresse aurait été surprise par MB2 sur la dépouille de la proie alors qu'elle était accompagnée du petit male de la portée le plus proche d'elle et ne la quittant jamais. MB2 aurait alors exigé son tribu et tué le petit dans l'altercation qui aurait suivi avec Chhoti Mada. Un male ne perd jamais une occasion pour se débarrasser de futurs concurrents. Reste alors à connaitre le sort des deux autres petits de la portée. Ils n'ont pas suivi la mère lorsqu'elle est sortie des fourrées, ce qui laisse supposer que: soit ils étaient également présents et ils sont morts, soit ils étaient restés dans la cache de la mère, loin de la tragédie et donc en sécurité.

KNP - en attente du dénouement © VD - 18/04/2018
Après que notre driver nous a conduit au lieu de ralliement des jeeps pour le breakfast, nous faisons la rencontre de l'Adjoint du "Field Director" du parc de Kanha, dépêché sur les lieux pour faire le point sur la situation. Il semble préoccupé et demande à voir les images de la scène. Après quelques instants de réflexion, nous convenons avec lui de ne pas diffuser les images les plus sensibles.


Se rendant sur le territoire de la tigresse, nous décidons également de retourner voir Chhoti Mada. 

Dès notre arrivée sur place, nous comprenons que les hostilités ne sont pas terminées. 

La tigresse tente de reprendre le contrôle de la situation en adoptant le comportement typique d'une des ses patrouilles quotidiennes avec marquage du territoire.




Mais à peine le temps de se remettre du terrible combat et de la perte de son petit qu'il faut réunir ses ultimes forces pour faire de nouveau face à l'agresseur. Les choses sont claires,...

MB2 ne semble pas décidé à en rester là mais compte bien liquider la totalité de la portée et pourquoi pas la mère qui a osé le défier.




La femelle s'élance soudainement en direction des fourrées puis stoppe net sa course pour adopter contre toute attente une position de soumission...la végétation laisse alors paraître la tête de MB2, victorieux.


La tigresse se résigne. L'œil hagard, elle semble accepter le sort que lui dicte la loi du plus fort. Elle finira par se coucher aux pieds de son bourreau.


Devant la menace qui pèse sur la tigresse, le "Forest Department" fait venir sur place un éléphant afin d'éloigner définitivement MB2 de la zone, Chhoti Mada va enfin pouvoir souffler et réaliser l'effroyable bilan de cette cruelle matinée.


Une jeep du FD s'approche alors de nous pour nous demander de quitter les lieux afin de ne pas gêner le déroulement des opérations. L'éléphant doit en effet disposer du champ libre pour effectuer les vérifications que la situation impose et espérer découvrir des petits encore en vie...effectivement, nous apprendrons dans la soirée qu'au moins un des petits de la portée est sain et sauf, récompensant ainsi la réactivité du FD et ses efforts pour préserver ce qui pouvait encore l'être.
Nous quittons Mukki le cœur serré mais reconnaissants d'avoir été les témoins privilégiés de moments intenses et rares de la vie sauvage, justifiant amplement la réputation de ce parc unique au renouveau incontestable ! 

KNP - MB2 chassé par les éléphants © VD - 18/04/2018
            
Nous apprendrons, à notre retour, le transfert de MB2 (le 20/06/2018) dans la Tiger Reserve de Satkosia située dans l'état proche d'Odisha afin de laisser à ce jeune tigre très entreprenant, le maximum de chances de conquérir un territoire sans avoir à batailler face à une féroce concurrence. Saluons cette initiative de  transfert entre états qui constitue une première, avant les relocalisations programmées dans la Tiger Reserve de Buxa. En revanche, le choix d'une relocalisation au moment du démarrage de la mousson interpelle dans la mesure où le jeune tigre devra prendre ses repères durant une période particulièrement délicate.

Satkosia qui s'étend sur 970 km², fait partie des réserves à repeupler en tigres puisqu'elle ne compterait actuellement qu'un couple âgé de tigres plus capable d'assurer l'avenir du parc. A l'instar de Mukundra Hills, il faudra suivre dans les mois qui viennent et notamment après la mousson, l'évolution de la situation et la constitution de couples avec l'arrivée de tigresses. A Satkosia, il est envisagé de relocaliser trois mâles et trois femelles en provenance des réserves du Madhya Pradesh (Kanha, Pench et Bandhavgarh a priori), le mâle (MB2) de Kanha étant le premier de la "séquence".


Textes et photos Vincent Dabadie
© Blog Pierre Chéron - L335-3 du Code de la propriété intellectuelle

mercredi 20 juin 2018

Kanha Diaries 2018 - Episode II



 Chance et patience… Une combinaison gagnante ! 



KNP - MV3 ou MB3, fille de Mahaveer (T33) - 17/04/2018 © VD

En ce deuxième jour, nous allons expérimenter les vertus principales de la quête du tigre : chance et patience.


La chance nous allons la rencontrer le matin alors que nous nous trouvons sur le territoire de Garhi Male (T50), un jeune mais sérieux prétendant qui conteste la suprématie d’Umarpani et tente de s’accorder les faveurs d’une tigresse mature, Mundi Dadar (T8 – doyenne de la zone de Mukki) tout juste mère d'une nouvelle portée après s’être séparée de ses 4 jeunes élevés avec succès jusqu’à l’âge adulte.


KNP - groupe de chacals - 17/04/2018 © VD

Après avoir assisté à une belle scène de chacals s’avançant sous une douce lumière matinale, nous poursuivons l’exploration de cette partie de la zone de Mukki.
Un peu plus tard, sur le chemin du retour, en direction de la sortie du parc, nous
repérons un attroupement de jeeps proche d’un magnifique banian colonisé par un groupe de langurs très bruyant.
KNP - langur  - 17/04/2018 © VD

En nous approchant, nous comprenons que l’agitation anormale des singes estdue à la présence d’un tigre couché à l’abri de l’épaisse végétation. La scène est cocasse car les singes perchés juste au-dessus de la jeune tigresse lui lance des fruits et des branches pour la déranger dans sa somnolence.


Nous assistons pendant une demi-heure aux provocations répétées des singes qui n’auront pour réactions que de timides hochements de tête de la tigresse rapidement identifiée comme étant MV3 ou MB3 (fille de T33, Mahabir ou Mahaveer)

Pour le safari de l’après-midi, nous demandons aux guide et chauffeur de nous emmener vérifier la situation et les possibilités d’une observation intéressante. 

Comme prévu, il y a déjà un nombre conséquent de jeeps à l’arrêt… Une bonne douzaine au total, ce qui ne semble pas troubler la quiétude de la jeune femelle, confortablement installée au pied de l’arbre où nous l’avions laissée le matin même.

La chaleur est pesante mais reste très supportable. Passé l’excitation de la vision du tigre, les occupants des jeeps se mettent à palabrer pour faire passer le temps dans l’espoir d’un meilleur angle de vue. La tigresse se prélasse toujours et ne montre que quelques signes d’intérêt sporadiques pour ses « fans »… La frustration monte et l’attente commence à en décourager certains.

Dans ce contexte, il est difficile pour les guides d’insister par un laconique « take patience », au risque de décevoir des clients qui n’ont pas encore su se hisser aux exigences de la vie sauvage et raisonnent selon un schéma temporel en total décalage avec le rythme de la jungle.

En outre, les véhicules donnent souvent l’illusion d’augmenter les chances de « sightings » (observations) en étant en mouvement perpétuel pour saisir toutes les opportunités susceptibles de se présenter… Enfin, il y a ceux qui, ne disposant que d’une journée pour explorer le parc, préfèrent aller à la découverte des autres richesses faunistiques de Kanha.

Mais revenons-en à notre tigresse… Il est à peine 16h30 et la moitié des jeeps sont déjà parties.

De notre côté, nous avons déjà écrit le scénario de ce que nous pressentons avec notre guide… A l’« heure du tigre », aux environs de 17h, la tigresse va sortir pour rejoindre le point d’eau situé à environ 500 mètres de sa cache et nous pourrons jouir d’une vision imprenable sur cette magnifique tigresse arpentant la piste puis s’abreuvant paisiblement dans un cadre idyllique.

Nous décidons donc de prendre de la distance vis-à-vis du petit groupe de jeeps pour nous positionner entre l’arbre à l’abri duquel elle s’est installée et le point d’eau… Nous sommes à une centaine de mètres environ.

A 17h, la tigresse se lance enfin dans une toilette qui trahit ses intentions… Nous nous rapprochons du groupe de jeeps pour venir aux nouvelles puis regagnons presque aussitôt notre position d’attente, à distance.


KNP - MB3 en patrouille - 17/04/2018 © Photographie VD

La tigresse se fait désirer et reste à couvert alternant séquences de bâillements suivies de somnolence avec des poses un peu plus « alertes »… Mais elle ne bouge toujours pas de sous son arbre. 





Cette fois s’en est trop et les jeeps partent une à une, embarquant les touristes loin du rêve qu’ils ont pourtant caressés de si près… Nous demeurons seuls avec une autre jeep dont les occupants se sont rangés aux arguments du guide, bien inspiré ! 

Ça y est, il est 17h20 et c’est enfin l’heure du tigre… Une véritable splendeur en mouvement qui va nous offrir un show d’une demi-heure sur la piste désertée…


KNP - MB3 marquage - 17/04/2018 © VD


KNP - MB3 marquant son territoire - 17/04/2018 © Photographie VD

Animée par l’assurance des jeunes tigres en quête de territoire, elle asperge abondamment d’urine les arbres alentours… 

Sur son omoplate gauche, on remarque la présence d’un stigmate certainement dû à un récent combat territorial… Les territoires de la zone centrale de Kanha sont très convoités et donnent lieu à de farouches affrontements. C’est du grand spectacle et nous sommes aux premières loges !

Soudain, la piste débouche sur une vaste clairière …

KNP - chitals en alerte - 17/04/2018 © VD

La tigresse tente de se faire discrète pour se mettre pourquoi pas en position d’approche et engager une chasse mais très vite l’alerte est donnée et toute la harde de cerfs axis a les yeux rivés sur la tigresse, à grand renfort de bruits d’alarme.

Arborant un air faussement désintéressée, la jeune femelle scrute la harde et salive à l’idée du repas qui vient de s’envoler.

Après quelques minutes de repos, elle se lève pour se remettre en route.



KNP - MB3 réfléchit - 17/04/2018 © VD 

KNP - MB3 marque - 17/04/2018 © VD
KNP - 17/04/2018 © VD
Contrairement à nos prévisions, elle n’est pas en recherche d’eau mais bifurque dans le sens opposé au point d’eau pour s’enfoncer dans la forêt, nous laissant à nos émotions après une dernière vision de cette végétation fantastique semblant happer le félin.

Fruit du hasard, c’est une famille d'indiens habitant le même lodge que nous qui occupe la jeep restée sur le « spot » … 

La discussion autour des vertus de la patience promet d’être animée ce soir !


Textes et photos Vincent Dabadie
© Blog Pierre Chéron - L335-3 du Code de la propriété intellectuelle

vendredi 15 juin 2018

Mortalité des grands fauves en Inde

Que cache l’hécatombe de ces derniers mois !!

RTR – T39 Noor © Crédit photographique Pierre Chéron
Entre hausse préoccupante de la mortalité des grands fauves en Inde et comptages positifs des derniers recensements :

Les mauvais chiffres du premier trimestre 2018 traduisent les nombreuses menaces auxquelles les félins doivent faire face au quotidien : réduction et fragmentation de l'habitat, conflits liés à la proximité avec les populations locales, interférences des projets d'infrastructures structurantes à l'origine de nombreuses morts accidentelles (félins renversés, victimes de chutes dans des puits ou bien encore morts électrocutés du fait de clôtures électriques le plus souvent illégalement installées...), braconnage...

La mortalité des grands fauves semble en hausse mais ce constat traduit-il bien la réalité de leur présence en Inde. Se dirige-t-on vers un déclin de ces espèces ou bien s'agit-il plutôt d'une évolution du "paradigme indien" des grands fauves ?
184 lions morts entre 2016 et 2017 (310 sur la période 2010-2015) dont  32 de causes non naturelles !
162 léopards sur les trois premiers mois dont 35 % dus à des cas de braconnage et 20 % suite à des accidents sur les routes ou les voies de chemin de fer....34 léopards meurent chaque année en moyenne rien que dans l'état du Rajasthan !
34 tigres sur les trois premiers mois de l'année dont 35 % de causes non naturelles (électrocution, accidents et braconnage), ce qui à ce rythme fera franchir la barre des 130 tigres morts fin 2018 !

RTR – T57 Singhtsh © Crédit photographique Pierre Chéron
Les chiffres sont inquiétants et pourtant, les comptages réalisés ces dernières années ou en cours sont encourageants et témoignent des résultats probants obtenus suite aux efforts considérables de protection réalisés sur le terrain.

La population des lions est ainsi passée de quelques dizaines en 1913 à 523 en 2015, avec une forte progression durant la dernière décennie (359 en 2006, 411 en 2010...). On doit ce spectaculaire sauvetage au Nawab de Junaghad qui décida de protéger la trentaine de lions encore présent dans sa réserve de chasse et ayant échappé aux massacres. Aujourd'hui, le seul sanctuaire de Gir n'est plus suffisant pour supporter cette population. La réserve qui fait 1882 km² environ peut accueillir 300 spécimens au maximum, c'est pourquoi il était vital d'assurer aux lions des territoires additionnels. Désormais 40 % des lions du Gujarat sont disséminés dans les districts d'Amreli, Bhavnagar, Gir Somnath, et Porbandar et migrent à travers 19 corridors sur une aire totale couvrant quelques 22 000 km² !

Jeune mâle du Gir © Crédit photographique Pierre Chéron

GIR - femelle et cubs © Crédit photographique Pierre Chéron

S'agissant des tigres, après une décennie très compliquée, on relève, depuis le comptage de 2011 (1700 en 2010, 2226 en 2014) des chiffres en hausse dans la quasi totalité des états. Cette dynamique laisse augurer, pour le recensement qui vient de débuter, un retour au nombre d'individus du début des années 1990 (environ 3000 tigres) mais avec la fiabilité que procurent désormais les moyens technologiques modernes dont disposent les équipes du FD et de la NTCA pour réaliser les opérations de comptage ("camera trapping" notamment). La protection dans les réserves de tigres les plus réputées s'avère mieux organisée et plus efficace et après en avoir contesté le principe lors du recensement de 2011 notamment, les autorités indiennes ont fini par admettre que plus de 30 % des félins vivaient en dehors des réserves dans des zones protégées (sanctuaires de la vie sauvage, parcs nationaux...) ou non (corridors entre réserves ou bien forêts isolées).


RTR – T28 Star Male © Crédit photographique Pierre Chéron
RTR – T85 Packman © Crédit photographique Pierre Chéron


Le comportement des léopards est plus problématique car ils sont plus intrusifs et imprévisibles, et ils n'hésitent pas à s'aventurer dans les villages et dans les zones urbaines périphériques des grandes agglomérations. Depuis quelques mois des vidéos sont postées régulièrement sur les réseaux sociaux montrant des scènes insoutenables de mise à mort de léopards à coups de bâtons par des villageois excédés, aux réactions totalement disproportionnées. Le même type de scène a été filmé s'agissant cette fois d'ours lippus ayant attaqué des villageois. Dans le sanctuaire même du Gir, on rapporte des faits surréalistes de personnes s'approchant à pieds de groupes de lions pour les perturber pendant leur repas ou bien les pourchassant en motos.

Pourtant dans le même temps, on assiste à des scènes spectaculaires d'opérations de sauvetage improvisées de léopards ou de tigres tombés dans des puits ou des canaux, certains n'hésitant pas à les secourir au péril de leur vie (les animaux en situation de stress extrême peuvent s'avérer dangereux pour leurs "sauveurs" et leur infliger de graves blessures voire pire). 

Pour combattre les idées reçues et tenter d'endiguer les incidents qui se multiplient, l'état de l'Uttarakand a pris l'initiative de publier un guide intitulé "Busting Myths about léopards and Learning to leave with them" pour sensibiliser les populations locales sur les comportements à adopter pour coexister avec le félin. 

Le premier recensement de léopards réalisé en Inde sur une partie du territoire a mis en avant un chiffre de 8000 individus. En extrapolant ces chiffres à la partie nord-est du pays non concernée par les comptages, les spécialistes estiment que la population totale du félin tacheté est comprise entre 12000 et 14000.


RTR - Léopard © Crédit photographique Pierre Chéron
RTR - Léopard © Crédit photographique Pierre Chéron 
La situation est préoccupante et l'accroissement global du nombre de félins dû à une meilleure protection dans les réserves ne doit pas occulter le phénomène réel de réduction dramatique de son habitat en dehors et de la pression de plus en plus grande exercée par la population sur ces territoires.
Le renforcement des moyens dont disposent les réserves a été cette dernière décennie une réponse adaptée pour endiguer le braconnage mais elle ne peut à elle seule assurer un avenir à ses grands prédateurs qui ont avant tout besoin d'espaces importants connectés les uns aux autres par des corridors présentant un minimum de sécurité (pour éviter les accidents sur les routes et les voies ferrées, les chutes dans les puits, l'électrocution par des clôtures installées le plus souvent illégalement...) et disposant de ressources en eau et en proies sauvages. 
  
Naturalistes et scientifiques s'accordent désormais pour dire qu'une déconvenue majeur est à prévoir dans les prochaines décennies si des actions ne sont pas menées au niveau des aires non protégées actuellement, mais au combien vitales pour garantir la survie des félins !


RTR - Krishna cubs déc 2015 © Crédit photographique Pierre Chéron

Cela ne signifie pas qu'il faut relâcher les efforts de protection dans les réserves, bien au contraire. Sur la base du modèle de tourisme développé dans les "Tiger Reserves", le TOTF (Travel Operator For Tigers) a indiqué que le tourisme des léopards avait un réel potentiel et que ce pouvait être une des clés de la protection de l'espèce en Inde où les moyens se concentrent actuellement beaucoup sur les espèces "étendards" dont fait partie le tigre. 

L'état du Rajasthan a d'ailleurs récemment décidé de créer 5 sanctuaires dédiés aux léopards pour mieux répondre aux dangers du braconnage en incitant les félins à rester dans des aires protégées et exemptes de présence humaine tout en procurant des sources de revenus aux populations locales de manière à les impliquer dans les actions de préservation. Se dirige-t-on vers un grand plan "léopards" à l'échelon national...affaire à suivre dans les mois qui viennent !

A noter que certaines des 50 "Tiger Reserve" n'ont de tigre que le nom, alors que paradoxalement, on trouve des léopards dans toutes les "Tiger Reserve". 

Les orientations des programmes de conservation ne sont toutefois pas les mêmes au regard des problématiques spécifiques à chaque espèce.

Si lions et tigres peuvent emprunter des corridors sur plusieurs dizaines voir dans certains cas plusieurs centaines de kilomètres à la recherche de territoires où s'établir et de partenaires avec lesquels se reproduire, les léopards ont un champ d'action plus réduit. Cherchant moins à éviter les hommes, ces derniers entrent très souvent en conflit avec les populations locales même si certains exemples montrent que la présence de léopards à proximité des zones urbanisées ne constitue pas une situation rédhibitoire...on appelle ces léopards, les léopards des villes à Mumbai ou encore Jaipur ! 

RTR - T19 Krishna - avril 2018 © Photographie Vincent Dabadie
Parfois également des programmes de protection aux intentions louables peuvent interférer avec d'autres projets de conservation des espèces...c'est typiquement le cas du plan de transfert de lions au Wildlife Sanctuary de Kuno Palpur situé dans l'état du Madhya Pradesh.

Après avoir écarté plusieurs autres sites et au terme d'une bataille juridique âpre et incertaine, l'autorisation fût donnée par la cour suprême indienne d'opérer les transferts. La création d'un nouveau site d'accueil des lions d'Asie, déconnecté du Gir, présente un caractère vital pour la sauvegarde de l'espèce en cas de pandémie s'abattant sur les spécimens du Gujarat.  

Problème : Kuno Palpur constitue un sanctuaire stratégique pour les migrations de tigres en provenance de la réserve de Ranthambhore dans le Rajasthan et il se situe à l'intérieur de l'arc du "Western India Tiger Landscape", biotope essentiel à la métapopulation des tigres d'Inde de l'Ouest connectable avec un autre pool génétique, celui des tigres d'Inde centrale. 


Schéma de dispersion des tigres du WITL © Vincent Dabadie
Pour accélérer les opportunités de brassage génétique entre les deux "clusters" de tigres, il est même envisagé de faire venir des tigres des réserves de Kanha Panna et Bandhavgarh à Kuno !

On le voit, rien n'est simple en Inde et il faut aux autorités et associations impliquées, composer avec une infinité de paramètres pour s'assurer du bien fondé des décisions prises et de leur intérêt au service de la préservation de l'incroyable biodiversité de la vie sauvage indienne. 



Textes et photos © Blog Pierre Chéron - L335-3 du Code de la propriété intellectuelle

mardi 12 juin 2018

Kanha Diaries 2018 - Episode I


  Le jeu des 7 familles 

Rencontres dispersées avec une emblématique famille de tigres 


Le premier safari à la découverte d’un parc est toujours chargé d’une émotion particulière où se mêlent divers sentiments: exaltation à la pensée des probables rencontres, excitation des sens sollicités par les sons, les odeurs et la vision des splendeurs de la jungle, appréhension des possibles déceptions… 

Notre cycle de safaris allait bien vite balayer les quelques doutes qui pouvaient nous habiter sur le potentiel du parc de Kanha, confirmant ainsi les informations recueillies sur les excellentes observations réalisées les mois précédents dans les zones touristiques de Mukki et Kanha notamment.

KNP – DJ2, jeune femelle de Dawajhandhi - 16/04/2018 © Vincent Dabadie

Nous allons également pouvoir constater que le management de cette Tiger Reserve est à la hauteur de sa légende qui en a fait le joyau du Madhya Pradesh : un système de roulement des chauffeurs et des guides respecté, une ponctualité irréprochable et des règles de conduite adaptées à la magie des lieux (vitesse de 20 à 25 km/h maximum sur les pistes, des distances de sécurité maintenues avec les animaux pour ne pas déranger leurs comportements)


Côté Mukki, nous pénétrons dans le parc avec cette délicieuse sensation d’une forêt qui nous enveloppe immédiatement dans le but de nous livrer les secrets de la vie sauvage qui l’anime. Après quelques dizaines de minutes, nous croisons la route de notre premier tigre sur « Tiger Highway », nom donné avec malice par les guides indiens à cette « trouée » * dans les arbres, empruntée par les tigres pour marquer leur territoire et qui facilite leurs déplacements… Ce jeune tigre, MV2 (ou MB2), âgé de 22 mois environ, est issue d’une portée de la tigresse Mahaveer aussi appelée Mahabir (T33)**, probablement avec Kingfisher, un magnifique tigre dominant, mort en 2016 dans un combat territorial l'opposant à Umarpani (T30).

Ce jeune tigre déjà impressionnant essaye actuellement de se forger son propre territoire et se montre très agressif envers les tigres résidents et notamment certaines tigresses ayant des petits, ce qui se vérifiera tragiquement les jours suivants… 

Après cette apparition furtive, nous poursuivons dans la zone pour nous approcher du territoire de la femelle Umarjhola (T32), fille de Mundi Dadar, territoire qui se situe sur un promontoire rocheux et qui offre un panorama spectaculaire sur la merveilleuse canopée de Kanha, accaparant notre champ de vision dans un déploiement ininterrompu sur des kilomètres. 

En dépit de traces fraîches et prometteuses sur la piste, nous quittons cet endroit idyllique sans avoir fait la rencontre de la reine des lieux… La zone de Mukki est très vaste et de bonnes options se présentent ailleurs. 

Nous poursuivons sur le territoire d’une autre femelle dominante dénommée Dawajhandhi (T27) et qui occupe une zone stratégique riche en proies et disposant d’un magnifique point d’eau. Elle a donné naissance il y a six mois environ à 4 petits (deux mâles et deux femelles) après s’être accouplée avec une des « stars » du parc, Chhota Munna (T29), le fils de l’illustre Munna, toujours actif dans les zones périphériques du parc à l’âge avancé de 16 ans ! 

KNP – T29 Chhota Munna / Link 7 male - 16/04/2018 © Vincent Dabadie



Son fils règne sur un très vaste espace allant de la partie sud de Kisli à la zone centrale de Mukki. Il doit couvrir des dizaines de kilomètres par jour pour en délimiter les contours et rendre visite aux femelles qui l’occupent. Au cœur même de son territoire, il est contesté par un rival de taille qui n’est autre que son demi-frère, Umarpani, certainement le tigre le plus puissant de Kanha actuellement et avec lequel des altercations très violentes se sont produites à l’été 2017, consacrant systématiquement la supériorité de ce dernier. Mais d’autres dangers pèsent sur le territoire de Chhota Munna comme cette incursion d’un mâle voisin, Jamun Tola Male (T24), qui profita de l’absence de T29 pour exiger les faveurs de Dawajhandhi en tentant de se débarrasser de ses petits… Le mâle dominant de la portée y laissa la vie mais fort heureusement, en mère habile, Dawajhandhi réussit à cacher ses autres petits dans l’attente du retour de Chota Munna. 



Quelques mois plus tard, alors que Chhota Munna a repris le contrôle de la zone, nous avons l’opportunité de faire sa connaissance alors qu’il patrouille sur la route et sécurise son territoire, renforçant sa présence auprès de Dawajhandhi et des jeunes encore très vulnérables. Sa carrure est impressionnante, sa puissante musculature ondule sous sa magnifique robe un peu plus à chaque pas…elle n’a d’égale que la nonchalance de son attitude lorsqu’il arpente la piste.

Pourtant, en cette matinée la rencontre la plus marquante ne sera pas celle de la force mais celle de la jeunesse et de l’éclosion d’une toute nouvelle assurance… 
La petite femelle DJ2 nous fait face et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle a déjà tout d’une grande dans ses attitudes. 


KNP – DJ2, jeune de Dawajhandhi - 16/04/2018 © Vincent Dabadie

KNP – DJ2, jeune de Dawajhandhi - 16/04/2018 © VD

La petite femelle DJ2 nous fait face et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle a déjà tout d’une grande dans ses attitudes. 



Elle renifle un tronc d’arbre, fait mine de le marquer puis prend la piste dans une attitude dominatrice sans la moindre appréhension devant les véhicules, mais en témoignant au contraire d’une maturité étonnante du haut de ses dix mois… 



Sur le territoire de sa mère Dawajhandhi et certainement rassurée par la présence de son père, elle fait le « show » et impose déjà les conditions de sa supériorité ! 





Dans l’après-midi, nous revenons sur le territoire de la famille, plein d’espoirs de les voir tous ensemble au point d’eau, s’ébattre dans des jeux aquatiques. Notre attente ne sera pas récompensée mais comme souvent dans les forêts indiennes, c’est un autre scénario qui va s’écrire et nous réserver d’autres surprises.

Reprenant la traque dans une ultime tentative, nous finissons par tomber sur Dawajhandhi couchée contre un arbre le long de la piste. Incommodée par l’arrivée d’une autre jeep, elle décide de quitter les lieux non sans nous avoir gratifiés au préalable de belles attitudes, sans jamais presser son pas royal… 


KNP – T27 Dawajhandhi - 16/04/2018 © Vincent Dabadie 










Soudain elle s’arrête, semblant guetter la venue de sa progéniture…après quelques instants d’immobilité, elle disparaît dans les fourrées…finalement, en poursuivant notre route, à quelques centaines de mètres, nous tombons nez-à-nez avec une de ses filles, DJ2. Et le « show » du matin recommence avec en prime une pose pleine d’assurance au beau milieu de la piste…

KNP – DJ2 fille de T27 Dawajhandhi - 16/04/2018 © Vincent Dabadie

Cette première journée est allée bien au-delà de nos espérances grâce à la famille de Chhota Munna et Dawajhandhi. Le jeu des sept familles commence très fort et nous pourrons rapidement compléter cette belle brochette avec…….. la mère de Dawajhandhi… puis… la sœur de Chhota Munna ! 



*: des "trouées" faisant office de barrières coupe feu entre les patchs de forêts sont entretenues par le "Forest Department" afin de faciliter la lutte contre les incendies. Ces espaces dégagés peuvent constituer au même titre que les pistes, des délimitations entre territoires empruntés par les tigres pour leurs patrouilles quotidiennes.

**: les tigres des zones touristiques de la réserve de Kanha portent des numéros et des noms. Cette numérotation est supposée permettre d'identifier les individus puis d'établir et d'archiver plus facilement les liens de filiation entre congénères. D'autres parcs ont opté pour ce système comme Ranthambhore, Panna et plus récemment Bandhavgargh et Tadoba. Pour ceux qui souhaiteraient approfondir le sujet, début 2018, Dr Sanjay Kumar Shula  conservateur en chef des forêts et directeur de la réserve de Kanha, a publié, avec l'aide des guides et naturalistes passionnés, un excellent ouvrage intitulé "Tigers of Kanha" qui fournit une multitude d'informations sur les tigres des zones touristiques.


Textes et photos Vincent Dabadie
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